Paru initialement en feuilleton, dans les pages de la toute jeune revue Galaxy, moins d’un an après la sortie de Cailloux dans le ciel, Tyrann (repris sous le titre de Poussière d’étoiles dans le second tome du Grand Livre des Robots, chez « Omnibus ») se déroule dans le même univers, mais quelques millénaires plus tôt, à une époque où l’autorité de Trantor ne s’étend pas encore sur l’ensemble des planètes habitées, et où la Terre demeure encore un monde fréquentable. C’est même un prestigieux centre universitaire, où sont envoyés des fils de bonne famille en provenance des quatre coins de la galaxie. Parmi eux se trouve Biron Farrill, dont le père est le gouverneur de la planète Néphélos. Mais cette dernière, tout comme la Terre, est sous la coupe des Tyranni, lesquels, comme leur nom le laisse supposer, ne sont pas de grands démocrates dans l’âme. En politiciens rusés, les Tyranni ont su progressivement étendre leur mainmise sur une cinquantaine de mondes, montant les uns contre les autres afin de les diviser et d’affirmer de manière incontestable leur autorité sur tous.
Pendant que son père, jugé trop peu malléable par les autorités tyranniennes, est arrêté puis exécuté, Biron Farrill échappe de peu à une tentative d’assassinat et prend la route des étoiles. Aidé par une poignée d’individus, parmi lesquels Sandu Jonti, un opposant farouche aux Tyranni, et Artemisia, charmante jeune femme qui a fui son père pour échapper à un mariage arrangé, Farrill se lance dans un périple qui le conduira à la recherche d’un monde légendaire, sur lequel une armée rebelle aurait réuni un arsenal capable de renverser le pouvoir des Tyranni.
Sans doute conscient des faiblesses dont souffrait Cailloux dans le ciel, Isaac Asimov s’est cette fois attaché à écrire un roman d’aventures classique mais efficace, en perpétuel mouvement, et offrant son lot de rebondissements. Les en-jeux sont posés d’entrée, et l’intensité dramatique ne va cesser de croître au fil des chapitres. En outre, le romancier met ici en scène une poignée de personnages qui, même s’ils demeurent trop respectueux des conventions de l’époque, n’en sont pas moins attachants.
L’aspect le plus intéressant du roman reste sa description de la dictature tyrannienne, et la manière par laquelle un monde aux moyens limités est parvenu à imposer sa loi à des adversaires plus puissants que lui. Une fois encore, Asimov évite tout manichéisme lorsqu’il décrit les différentes forces politiques en présence. D’un côté, les Tyranni, malgré le machiavélisme dont ils font preuve et les méthodes expéditives auxquelles ils ont recours à l’occasion, apparaissent le plus souvent comme des adversaires dignes de respect. De l’autre, le romancier s’interroge sur les motivations de certains de leurs opposants. Car à quoi bon abattre une dictature, si le seul objectif recherché est d’en imposer une autre ? Davantage que dans cet hypothétique arsenal réuni pour lutter contre les Tyranni et que recherchent les héros, c’est dans un artefact terrien, disparu depuis des lustres, et dont la nature ne nous sera révélée que dans les ultimes paragraphes du roman, que reposent les espoirs d’émancipation de l’ensemble de ces mondes. Ce dernier élément, introduit de manière assez maladroite dans le cours du récit, est sans doute le point le moins convaincant de Tyrann, qui n’en reste pas moins un bon roman dans son ensemble, assez atypique dans l’œuvre d’Asimov.