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Les critiques de Bifrost

TysT

TysT

LUVAN, Melville TILH-PLUÑVENN
SCYLLA
272pp - 15,00 €

Bifrost n° 109

Critique parue en janvier 2023 dans Bifrost n° 109

La postface présente le dernier né de luvan comme un conte breton sophistiqué, une high fantasy prototypale. Le fait est qu’il emprunte bien à la fantasy ses principaux motifs – même s’il les colore d’éléments science-fictifs. L’héroïne, le grand péril, les créatures surnaturelles, la quête à accomplir sont comme autant de balises dans un récit qui ne cesse de vouloir s’en écarter, de prendre la tangente pour « charmer le temps ». C’est que le voyage de l’héroïne se double, chez l’autrice et son lecteur complice, d’un voyage dans la mémoire, à la recherche de quelque chose que chacun a connu et oublié, quelque chose qui a fondé nos goûts, derrière lequel nous courons éperdument. Chez luvan, la conscience est liée à la rêverie. C’est parce qu’elle est consciente que tout se tient, et aussi qu’il y a un monde à part dans la fiction, un monde qui n’est pas réel, mais vrai. La passion de l’imagination est son moteur. Avec l’imagination, tout recommence : car « comme on fait son rêve on fait sa vie. » (Victor Hugo)

Ce plaidoyer pour l’imagination commence pourtant dans un cauchemar. Celui d’un monde futuriste, qui pourrait être le nôtre. Un monde d’après la troisième guerre mondiale, tombé sous la coupe d’une dictature militaire et rongé par les effets délétères de la « matière verte ». TysT postule qu’à cet horizon visible (autrement appelé pays dormant) se juxtapose un envers « féérique », le pays vif, et qu’il est possible de guérir le réel en agissant dans l’imaginaire. Seuls quelques individus parviennent à passer d’un côté à l’autre, à l’aide de petits objets nommés sogas.

La musicienne Sauda Le Du est l’une de ces éveillés. Elle n’a rien de plus que les autres. C’est juste une femme fatiguée, une femme qui se cherche. Cette recherche l’amène à découvrir autre chose : l’anéantissement qui plane sur le réel menace aussi l’imaginaire.

Entourée d’une étrange compagnie d’êtres surnaturels, elle va se dresser avec ses modestes moyens de rêveuse lucide contre l’entropie grandissante, suivant le modèle typique de la quête qui se veut à la fois personnelle et universelle. Pour ça, il lui faut trouver entre les deux mondes (même trois, si l’on compte le pays veuf, ce nom qu’on donne dans TysT, aux rêves nocturnes) le plan – avec plus de pointillés que de flèches, il est vrai – d’une évasion. Plus elle fuit dans ces diverses strates de temps et d’espace, et plus elle s’avance en zone dangereuse, jusqu’aux écluses de la ville d’Ys entourées par la malebrume (autrement dit l’hiver ou la mort), qu’il faut symboliquement ouvrir pour que déferle la grande vague régénératrice. D’autant qu’il y a un autre risque à s’aventurer au-delà du réel. Celui qui traverse n’est plus tout à fait le même : il faut que le songeur soit plus fort que le songe, que le voyageur n’oublie pas le but du voyage, sinon il peut s’oublier et disparaître. Ici, l’apprentissage et la connaissance de soi sont les garants de la réussite.

Comme tout cela peut sembler bien abstrait, précisons que TysT plaira avant tout aux lecteurs adeptes de jeux littéraires et capables de larguer les amarres ; l’autrice – à dessein — donne peu de clés de compréhension. Inutile de paniquer, les enjeux sont intuitifs, et les personnages évoluent selon une logique propre aux rêves, aux contes, comme si tout cela était parfaitement naturel et limpide. Il y a une dimension ludique dans ce roman, qui tient à la manière dont le lecteur s’active à recoller les morceaux d’un puzzle narratif qui ne semble rien moins qu’improbable dans ses causes, son processus et ses effets.

En remède à l’époque étriquée, sans rêve et sans élan où nous vivons, TysT propose une utopie poétique et politique. luvan affirme l’imagination, la création, l’empathie comme composantes essentielles de notre existence. Réveillons-nous : rêvons, semble-t-elle nous enjoindre. Renouons avec l’éternel mouvement de l’imaginaire pour en faire surgir notre improbable avenir.

Sam LERMITE

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