« Pour être un ami de la terre, il faut se résoudre à être un ennemi du peuple. »
2025. Le monde est ravagé par des tempêtes d'une rare violence. Là où les cieux ne se déchaînent pas, il ne reste que des étendues désertiques et à jamais stériles. Eh oui, notre bonne vieille Terre n'est plus ce qu'elle était : quatre-vingt-cinq pour cent des espèces animales ont disparu et le niveau de pollution est tel que l'Homme a dû changer de façon de s'alimenter, de picoler (saké pour tout le monde !) et de se vêtir…
Perdu dans ce décor apocalyptique et moisi, Tyrone Tierwater, soixante-seize ans, survit en s'occupant des animaux de la star de rock Maclovio Pulchris : hyènes, lions, pécaris et renarde de Patagonie… Pour cette tâche (qui consiste surtout à ramasser les chiens écrasés et à pelleter de la merde), il est aidé par Chuy, un réfugié guatémaltèque qui baragouine le californien comme une pute de Tijuana. Dans les années 80-90 (à l'époque où l'on pouvait encore crier au loup), Ty a été un écoguerrier relativement médiatique. Son engagement lui a coûté très cher (pas mal de prison pour cols blancs), mais lui a aussi permis de rencontrer Andrea, une activiste cintrée dont il est immédiatement tombé amoureux (imparable, c'est une vraie blonde). À l'époque de leur rencontre, Ty s'occupait de sa fille de treize ans, Sierra, née d'un premier mariage, qu'il avait dû élever en solo suite au décès accidentel de son épouse, Jane. Avec Andrea, l'ami Teo et Sierra, Ty a participé à des actions radicales censées dénoncer les conséquences de la déforestation. Mais le combat a pris fin : il y a eu le drame qui a coûté la vie à Sierra, la séparation avec Andrea… une vie qui s'effondre.
Alors, quand des années plus tard, en 2025 donc, Andrea refait surface avec son amie April Wind (« quel nom hippie à la con ! »), Ty se méfie… Et il a bien raison, car Andrea et April ont l'intention de faire fortune en racontant l'histoire de la dernière héroïne du XXe siècle : Sierra Tierwater. Et pour arriver à leur fin, elles ont besoin des souvenirs de celui qui a torché la gamine, éduqué l'adolescente et vu mourir la jeune fille.
Digne héritier de Voltaire, T.C. Boyle est, à mon humble avis, l'auteur de deux des plus grands romans de la fin du XXe siècle : Water Music et La Belle affaire (tous deux disponibles chez Phébus). Humoriste des plus doués pour la critique sociale, il change carrément de décor avec cet Ami de la Terre, s'attaquant frontalement à la science-fiction écologique, là où d'autres écrivains issus du mainstream se seraient contentés d'effleurer le sujet. Il y a du John Irving dans ce livre (le ton amusé et désabusé), mais aussi une saveur contre-culture et anti-WASP qui rappelle sans cesse le Neal Stephenson de Zodiac. Un Ami de la Terre n'est pas seulement une attaque en règle contre les pollueurs-sauveurs-d'emplois, la middle-class américaine et les écologistes flower-power végétaliens à la léchouille-moi-le-nœud, c'est surtout le portrait d'un homme qui a perdu sa femme, puis sa fille, et qui, malgré toute cette douleur accumulée, a décidé de survivre, d'assister à la fin du spectacle ; le portrait d'un écolo qui a des érections, des problèmes de transit (donc du temps pour lire) et qui n'hésite pas à s'envoyer des steaks de deux centimètres et demi d'épaisseur.
Malgré quelques longueurs, quelques erreurs de traduction flagrantes et quelques facilités, Un Ami de la Terre est un grand livre, sinon de science-fiction, pour le moins d'anticipation, publié hors collection, dans lequel on assiste à plusieurs scènes déjantées, dont une chasse à la hyène assez slapstick. Voilà un roman engagé (comme quoi il en reste) où le bon sens l'emporte (presque) toujours sur le dogmatisme. À ranger entre Zodiac, déjà cité, et Le Monde englouti de J. G. Ballard. Merci monsieur Boyle, tout le plaisir a été pour moi.