Connexion

Les critiques de Bifrost

Un chant de pierre

Un chant de pierre

Iain M. BANKS
OEIL D'OR (L')
17,00 €

Bifrost n° 114

Critique parue en avril 2024 dans Bifrost n° 114

C’est l’histoire d’un couple, Abel et Morgan, un peu dandy, un peu en marge des normes sociales, qui décide de fuir le château médiéval qu’il habite pour échapper à la guerre en approche, dans l’espoir de se sauver autant que de sauver leur demeure de toute violence, une fois délivrée de leur présence. Navigant sur leur charrette au milieu d’une foule en exode, voici Abel et Morgan faits prisonniers par une troupe hétéroclite de soldats, sous la houlette d’une lieutenante au caractère de fer, que l’on voit dès la première scène achever un de ses hommes blessés dans un baiser de la mort. Bien vite, elle montre de l’intérêt pour ce couple, leur histoire, leur provenance. Quand elle apprend l’existence du château, elle leur ordonne de faire demi-tour sous bonne garde pour les amener en ce qui peut sembler un lieu de repli fortifié. Commence alors, mené par la lieutenante, un jeu de séduction de la femme et une humiliation de l’homme qui vont croissants : le maître de maison est réduit peu à peu à l’état de domestique tandis que sa compagne reste la dame d’élection de la nouvelle maîtresse du château. De très vieux comptes se règlent entre des sphères sociales éloignées les unes des autres, dans un climat d’une rare tension et de violences sourdes et infaillibles qui vont s’enchaîner inexorablement.

Un chant de pierre campe son action dans une géographie et une histoire indéterminées et gagne ainsi la dimension universelle d’une fable qui met en scène l’absurdité d’une guerre, qu n’a ni protagonistes clairement identifiés, ni cause connue du lecteur… La guerre, dépourvue de sens, répand son acide sur la société humaine dont elle détruit tous les ordres et toutes les hiérarchies pour y substituer une sorte de force résignée mais lucide sur la nature humaine. Ce qui intéresse Banks, c’est la dissolution des personnalités dans le bain de violence, la façon dont elle force chaque individu à revenir sur ce qu’il est, les choix qu’il a faits au long de son existence, le démontage systématique de l’orgueil nécessaire qui maintient intact l’individu ou le couple qu’il constitue. Car toute cette narration est adressée à la femme aimée, qui se détache insensiblement. La violence force à se poser la question de sa propre finitude, à penser l’inexorabilité de la souffrance et la nécessité d’en finir, qu’il s’agisse de sa propre vie ou de celle d’autrui. Banks excelle à plonger dans les profondeurs intimes aux remugles troublants et à cerner dans la chair la douleur qui s’y déploie. La précipitation dans un puits, les humiliations qui l’accompagnent, la remontée d’un corps souffrant à l’extrême, l’assassinat d’une femme attachée au bout d’une corde par les pieds et noyée progressivement sont de petits bijoux d’une écriture sadique parfaitement maîtrisée, sèche et sensuelle, nourrie de l’ironie de son personnage principal. On est assez loin de l’imagination proliférante mise en œuvre au sein du cycle de la « Culture » et c’est justement tout l’intérêt d’Un chant de pierre : sa sécheresse maîtrisée permettra sans doute de découvrir de nouvelles nuances dans le style de Banks.

Arnaud LAIMÉ

Ça vient de paraître

L’Éveil du Palazzo

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 115
PayPlug