Estelle FAYE
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
256pp - 21,00 €
Critique parue en octobre 2014 dans Bifrost n° 76
Avec Porcelaine, son premier ouvrage, Estelle Faye avait frappé fort, rien moins que le prix Elbakin. Elle revient ici dans un registre très différent : une fantasy urbaine post-apocalyptique.
XXIIIe siècle… L’Apocalypse et la guerre civile ont profondément modifié la géographie et la politique du monde que nous connaissons ; Paris, tel un phénix, renaît de ses cendres, s’adapte comme elle peut à cette nouvelle civilisation. Une ville que Chet, chanteur de jazz, arpente le jour pour accomplir des boulots peu recommandables, et hante la nuit dans des bars louches.
A la lecture d’Un éclat de Givre, force est d’avouer que la maîtrise stylistique d’Estelle Faye saute aux yeux. Sa gestion des descriptions, que ce soit concernant la ville, les personnages et leurs sentiments, s’avère imparable ; l’immersion dans l’univers créé s’en trouve grandement facilitée et on s’attache vite aux différents protagonistes. A ce titre, la faune humaine dépeinte est extraordinaire : des gitans ayant investi Notre-Dame, en passant par les enfants-psy, les hybrides ou les freaks show de l’Enfer, l’auteure fait preuve d’un véritable talent pour la genèse des personnages. Chet, le héros, sort de la norme. Dans un monde où la vie en communauté est l’habitude, il vagabonde, solitaire et sans attache, ne se livre jamais et manipule les autres. Naturellement, derrière la façade, c’est une âme perdue en recherche d’amour…
Bien. Sauf qu’on ne peut occulter le fait que le bât blesse du côté du rythme d’une intrigue cousue de fil blanc — rares sont les éléments qui surprendront le lecteur. D’autant que l’auteur s’oublie d’abondance dans des digressions visant à élargir la perception de ce nouveau Paris et éclairer les causes de la fin du monde tel qu’on le connaît (à ce titre, le chapitre 9 est une charge sans équivoque à l’encontre de notre actuelle société). Le livre est court, par bonheur ; si ces méandres ralentissent l’histoire, les temps morts passent somme toute relativement bien.
Cet ouvrage est aussi une déclaration d’amour à Paris et au jazz. Estelle Faye distille au travers de son récit et des descriptions qui l’émaillent nombre de détails trahissant une véritable admiration pour la Ville Lumière. Idem pour les morceaux interprétés par Chet, dont les choix, tout sauf innocents, attestent d’une sérieuse connaissance du genre et dévoilent l’importance que ce dernier revêt aux yeux de l’auteure.
Un éclat de givre confirme de fait le talent d’Estelle Faye. Une fois gommés quelques défauts agaçants, n’en doutons pas, elle sera capable d’écrire une grande œuvre. Restent pour l’heure un livre à lire et une romancière à suivre.