Fraîchement arrivées dans le milieu (oui, encore une nouvelle structure !), les éditions de l’Instant ont jeté leur dévolu sur un premier roman atypique écrit par l’Américaine Sofia Samatar, un récit couronné par le World Fantasy Award 2014 – tout de même…
À la mort de son père, riche cultivateur de poivriers dans une contrée reculée, Jevick prend en charge les affaires familiales. Des responsabilités nouvelles qui vont le conduire à Olondre, dans la cité de Bain, où il ne tarde pas à se retrouver impliqué dans une guerre de religions après avoir été visité par un Ange, sorte de fantôme vénéré par les adorateurs de la déesse Avalei…
On pourrait, à lire ces quelques lignes introductives, reléguer Un étranger en Olondre au rand d’ersatz du « Prince du néant » de R. Scott Bakker. On aurait tort.
Porté par la plume de Sofia Samatar, le récit se pare d’une poésie remarquable, et ce dès les phrases initiales – force est d’ailleurs de saluer le travail de traduction de Patrick Dechesne, à la hauteur d’un style qui superpose les adjectifs et les métaphores avec une habileté proprement épatante au fil des pages. Une sensibilité stylistique qui infuse jusqu’au cœur même du texte ; il est ici question d’émerveiller, certes, mais en douceur, en toute subtilité. On visite à demi-mots des contrées insolites aux noms improbables que l’auteure effleure le plus souvent, avant de plonger dans des descriptions sidérantes de minutie au cœur même de certaines villes et contrées. Olondre ne se dévoile pas si facilement, elle conserve jusqu’au bout son mystère.
Cette façon si particulière de concevoir l’exploration d’un monde en rebutera plus d’un, sans doute, de même que la lenteur évidente de l’histoire… Mais ce serait nier l’effet recherché par l’auteure, à savoir imprégner lentement le lecteur d’une ambiance feutrée, magique et, en définitive, infiniment romantique. Pas tant intéressée par l’aspect politique de la chose que par le pur point de vue personnel et intimiste, Sofia Samatar fait le choix radical de tout asseoir sur l’insignifiance du quotidien, l’émerveillement constant du banal. Un résultat qui s’avère tout à fait étonnant, pour ne pas dire magistral.
D’un roman de fantasy seulement peuplé de quelques figures archétypes et d’un Ange, Sofia Samatar tire un flamboyant récit d’amour aux multiples facettes. L’amour de son pays, de ses origines, parfois difficilement conciliable avec les aléas de la vie. L’amour d’un homme et d’une femme traité avec une pudeur infinie dans une langue qui trouve alors tout son intérêt, déposant sur ce couple impossible un parfum de divin, de mythologique. Sans oublier l’amour des livres…
C’est là que réside le véritable cœur d’Un étranger en Olondre, dans cette déclaration d’amour encore plus malicieuse que le Morwenna de Jo Walton. Le livre devient un objet magique, un vallon, qui permet au récit de prendre des envolées lyriques insoupçonnées. Sofia Samatar pousse la démonstration jusqu’à construire de véritables poupées russes narratives en enchâssant des récits de légendes dans une histoire narrée par un personnage lui-même inclus dans le récit central – jusqu’à donner vie à un livre au sein même de son propre livre. L’intelligence de l’ensemble, sa manière et ses répercussions forcent le respect.
Un étranger en Olondre se révèle un trésor d’intelligence, de beauté, de subtilité et, oui, osons le mot une fois encore, de romantisme. Le genre de fantasy rare et précieuse qui confère au genre ses lettres de noblesse.