Maurice RENARD
L'ARBRE VENGEUR
15,00 €
Critique parue en janvier 2018 dans Bifrost n° 89
Après L’Homme truqué il y a quelque temps de cela, L’Arbre Vengeur réédite un deuxième roman de Maurice Renard, mais cette fois dans sa collection « Exhumérante », consacrée aux récits humoristiques – car Un Homme chez les microbes (1928) se partage également entre satire sociale et merveilleux scientifique, en faisant appel à des figures tutélaires tels le Gulliver de Swift ou le Micromégas de Voltaire.
Un jeune homme du nom de Fléchembeau, fou amoureux de Mlle Monenpoix, est éconduit par les parents de cette dernière, non pour les raisons politiques qu’il suppose… mais parce qu’il est bien trop grand : le couple serait si mal assorti, si ridicule ! Par chance, ou pas, Fléchembeau peut compter sur l’assistance scientifique de son ami le docteur Pons, qui, entre deux traits d’esprit parfaitement navrants (et d’autant plus hilarants), a concocté un traitement médicamenteux susceptible de rapetisser Fléchembeau suffisamment pour qu’il constitue un beau parti.
Las, le médicament, non testé, continue de faire rétrécir Fléchembeau bien au-delà de ce qui était requis… Au point où le jeune homme disparaît – mais seulement aux yeux des hommes ! Car, dans son voyage chez les microbes, Fléchembeau découvre enfin un monde de l’infiniment petit, où ceux qu’il appelle les Mandarins, avec leur pompon sur la tête qui leur confère un sixième sens, ont bâti une civilisation allègrement supérieure à celle qu’il connaissait à Saint-Jean-de-Nèves…
Cet homme qui rétrécit n’a pas grand-chose à voir avec celui de Matheson, une trentaine d’années plus tard – dans le dispositif comme dans le ton. Le court roman de Maurice Renard vise avant tout à la satire sociale, en procédant en deux temps : dans la première partie, la moquerie de la bourgeoisie de province, bien servie par une plume, surannée sans doute, mais pas moins riche et savoureuse, suscite nombre de scènes très drôles, auxquelles n’est par ailleurs pas étranger l’humour délibérément affligeant du docteur Pons. Le ton change dans la seconde partie, cette fois le rapport à la première personne de Fléchembeau, mais, si le rire est moins franc, la satire est pourtant toujours là, empruntant aux plus prestigieux modèles de l’utopie et des voyages extraordinaires – bien sûr, la société des Mandarins opère comme un miroir de la nôtre, et notre héros la parcourt avec la fausse candeur d’un Persan de circonstance.
Cependant, le roman va au-delà, et sa dimension « merveilleux scientifique » s’affirme toujours davantage. Si l’on peut regretter, à plus ou moins bon droit, que les Mandarins soient finalement bien anthropomorphes, le tableau de leur monde comprend quelques belles idées, et les implications cosmiques du récit, au regard de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, sont propres à susciter le vertige caractéristique du sense of wonder. Une dimension qui débouche sur une conclusion étonnante, où Maurice Renard laisse cette fois l’humour de côté pour retrouver des accents qui ne sont pas sans évoquer son modèle H. G. Wells.
Bref, une réédition bienvenue où la SF se mêle à l’humour, et qui, près d’un siècle plus tard, demeure plus que fréquentable.