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Les critiques de Bifrost

Un hôpital d'enfer

Un hôpital d'enfer

Toby LITT
PHEBUS
496pp - 24,00 €

Bifrost n° 52

Critique parue en octobre 2008 dans Bifrost n° 52

Si vous ne connaissez pas encore Toby Litt, voilà l'occasion rêvée de découvrir cet écrivain anglais excentrique et turbulent. Un hôpital d'enfer est son cinquième roman, et comme à chaque fois, Litt crée la surprise en étant très exactement là où on ne l'attendait pas. Après avoir commis deux thrillers décalés (Gang et Doux carnage), après avoir rendu un hommage tordu mais sincère au roman à suspens à la Agatha Christie (Qui a peur de Victoria About ?) et au roman fantastique (Fantômes), le voilà qui s'attaque à un tout autre genre littéraire : le roman d'épouvante. Et le résultat est tout simplement époustouflant. Un hôpital d'enfer (Hospital en VO) est une bombe littéraire, une œuvre extrême et radicale, gore et survoltée. Un roman comme on pensait que seul Chuck Palahniuk était capable d'en écrire. Un choc. Un vrai.

Un soir, quelque part en Angleterre, un hélicoptère se pose en urgence sur le toit d'un hôpital. À l'intérieur de cet hélicoptère, un homme de trente-cinq ans dans un état critique, et un jeune garçon qui se plaint de violentes douleurs au ventre. L'homme est aussitôt pris en charge par le service de traumatologie ; quant au jeune garçon, il se retrouve isolé dans une chambre en attendant la visite d'un médecin. Jusqu'ici, rien d'anormal. La simple routine d'un centre hospitalier parmi tant d'autres. Mais comme on ne va pas tarder à le découvrir, il se passe des choses étranges dans cet hôpital : opérations chirurgicales hasardeuses, bébés qui disparaissent, messes noires organisées par des adorateurs de Satan, infirmière en caoutchouc, végétaux qui poussent à l'intérieur d'un organisme humain, rites vaudous… Et ce n'est qu'un début. Car ensuite, c'est pire : décapitations, défenestrations, résurrections, sacrifices humains, orgies sexuelles où tous les participants s'amusent à se découper l'épiderme à l'arme blanche, mutilations diverses et variées, viols, meurtres… Et après ? Eh bien après, ça s'aggrave : passé minuit, c'est une véritable apocalypse qui commence. Les chairs se disloquent, se déchirent. Le sang coule et le chaos règne à tous les étages. Hallucinatoire, énorme et outrancier, Un hôpital d'enfer est un pur cauchemar qui va sans cesse crescendo, toujours un peu plus loin dans l'horreur. Avec inventivité — et sur un rythme très soutenu —, Toby Litt enchaîne les situations délirantes et multiplie les points de vue en faisant intervenir une myriade de personnages (une bonne centaine au total !). Mais il le fait avec une telle maîtrise narrative qu'il ne perd jamais son lecteur. L'écriture minimaliste, condensée à l'extrême, est d'une efficacité terrible. Toby Litt nous traumatise, nous opère à cœur ouvert et sans anesthésie, tout en nous invitant à rire de la mort et des souffrances humaines. On est sidéré par la violence convulsive de certaines scènes — quelque part entre Tex Avery, Stephen King, et le marquis de Sade — et on se dit qu'on n'a jamais rien lu de pareil. Original et fou, voilà un roman qui fera date. Lire Un hôpital d'enfer, c'est un peu comme se regarder dans un miroir déformant : l'image qui nous est renvoyée est grotesque, surréelle, mais effrayante parce qu'elle nous révèle nos peurs les plus intimes, les plus viscérales. Et c'est sans doute le vrai sujet d'Un hôpital d'enfer : déformer les corps, les distordre à l'extrême, les faire imploser pour mettre à nu quelques vérités humaines essentielles (à l'instar des tableaux de Francis Bacon). Bien plus qu'un simple exercice de style ou qu'une parodie déjantée de récit d'épouvante, Un hôpital d'enfer est un livre-monstre, novateur et visionnaire, comme a pu l'être, en son temps, Le Festin nu de William Burroughs. Dans Fantômes, un de ses précédents romans, Toby Litt livrait quelques éléments autobiographiques, et notamment le fait que sa compagne a fait trois fausses couches successives, avec toutes les conséquences que l'on peut imaginer. Ceci explique peut-être cela. Car on ne peut pas écrire un livre tel qu'Un hôpital d'enfer sans être porté, littéralement habité par des traumatismes profonds. Certains n'y verront sûrement qu'un catalogue de scènes gore. Ils auront tort. Car pour le lecteur qui sait lire entre les lignes, ce roman est un cri, un accouchement dans la douleur. Et l'image finale — un enfant mi-humain mi-végétal qui sort de l'hôpital pour rejoindre sa mère — en dit long. Toby Litt a eu le courage d'aller tout au bout de ce qu'il avait à dire. Et il en a ramené un très grand roman.

Xavier BRUCE

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