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Les critiques de Bifrost

Un jour je serai invincible

Un jour je serai invincible

Austin GROSSMAN
CALMANN-LÉVY
19,90 €

Bifrost n° 54

Critique parue en avril 2009 dans Bifrost n° 54

Hasard du calendrier, c'est au moment où les fameux Watchmen débarquent à l'écran que la collection « Interstices » publie un autre exercice de style consacré aux super-héros. De l'auteur — Austin Grossman —, on ne connaît pas grand-chose, mais Un jour je serai invincible est de nature à convaincre tout le monde et nous incitera sans nul doute à garder l'œil sur ses productions futures. Intelligent, drôle, désespéré et profondément humain, le scénario macabre habilement tissé au fil des pages n'entretient qu'un vague rapport avec le récit imaginé par Alan Moore. On y retrouve tout un bestiaire de super-héros fascinant d'ambiguïté, une totale absence de manichéisme et un traitement horriblement quotidien du mythe. Entendre par là que les super-héros sont des hommes (ou des femmes, ou des quasi-machines) comme les autres, avec leurs problèmes de couple, d'alcool, d'ego, d'intégration, et ce subtil mélange d'amour/haine à l'égard de ceux qu'ils sont censés sauver : nous. Les hommes au sens large. Cette infernale humanité qui n'en finit pas de bêler, de gémir, de s'entre-tuer, de comploter, de voler, de piller tout en se plaignant sans cesse de l'indifférence du Grand Tout. Difficile d'assumer son rôle de super-héros quand les hommes ne vous inspirent au mieux qu'un vague mépris plus ou moins amusé. Dès lors, la barrière est vite franchie. Pourquoi ne pas devenir un super-vilain ? C'est objectivement plus drôle, plus sexy, et les trouvailles artistiques pour éradiquer l'humanité ou la Terre ne manquent pas. Partant de ce parti pris saugrenu au premier abord, mais assez touchant quand on y réfléchit bien, Grossman réalise l'impensable : rendre crédible un monde où gravitent de véritables super-héros, dans une lutte permanente contre le mal suprême, aka Docteur Impossible, génie du mal ayant juré la destruction de cette misérable poussière cosmique que les hommes osent appeler foyer. Réjouissant, certes, mais surtout triste et tragique. Car si Grossman prend soin de détailler son monde à l'extrême, la véritable force de son récit tient à la personnalité complexe des héros (super ou anti) qui l'habitent. Et tout ça n'a franchement rien de drôle, tant le quotidien pue la misère, la résignation, la douleur, la vieillesse et la mort. Cerise sur le gâteau, c'est finalement (et logiquement ?) le super-vilain qui devient le véritable personnage central, et l'on se prend à regretter que pour des motifs bassement techniques (si la Terre est détruite, y a pas de roman, ducon), ses tentatives répétées pour en finir une bonne fois pour toute avec l'humanité n'aboutissent jamais.

Tout commence par un éternel recommencement, justement. Docteur Impossible s'évade de sa super-prison après avoir été torturé par des would-be super-héros un poil nazis. Du coup, c'est à l'éternel super-quatuor de super-héros de reprendre du service. Sauf que le super-quatuor a splitté il y a déjà quelques années, suite au douloureux divorce impliquant les deux héros principaux. Deuxième problème, le leader du quatuor a justement disparu et personne ne sait où il se terre (ni d'ailleurs pourquoi il se terre…). Pas grave, il suffit d'engager une nouvelle recrue, une femme, enfin plutôt une femme-machine qui tient plus du cyborg de guerre qu'autre chose, et dont la part d'inhumanité rend sa vision existentielle étonnamment touchante… Et sombre, bien sûr, très sombre. Un jour je serai invincible n'a rien de drôle, non, au contraire. Ce nouveau quatuor prend sur lui la traque du Docteur Impossible. Une traque que l'on suit page après page, de déconvenue en déconvenue. Sous un vernis très comic-book, Grossman nous laisse entrevoir la saleté. Le costume brillant qui pue la naphtaline, le marcel sous la cape, avec comme seule échappatoire la mort et la nullité. Brillant et tragique, le roman ne parle finalement que de perte. L'enfance, la joie, la vie même.

Patrick IMBERT

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