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Les critiques de Bifrost

Un long voyage

Claire DUVIVIER
AUX FORGES DE VULCAIN
320pp - 19,00 €

Critique parue en août 2020 dans Bifrost n° 99

Claire Duvivier est, avec Estelle Durand, l’une des deux éditrices d’Asphalte, maison qui publie des livres du monde entier, avec une prédilection pour l’Amérique du Sud et pour les anthologies de nouvelles noires bâties autour d’une ville (Barcelone, Rome, Paris, Delhi…), mais qui a aussi fait paraître des romans du genre qui nous intéresse ici, notamment les plumes de l’argentin Leandro Ávalos Blacha ou de l’italien Tommaso Pincio. Aujourd’hui, Claire Duvivier passe de l’autre côté, et signe son premier roman au sein de la sympathique entreprise éditoriale cornaquée par le non moins sympathique David Meulemans.

Un long voyage , narré à la première personne par Liesse, démarre lorsque celui-ci est placé par sa mère, une îlienne incapable d’élever seule ses enfants après la mort de son mari pêcheur. Liesse est ainsi lié par un contrat de servage auprès de représentants de l’Empire qu’il accompagne à Tanitamo, une petite bourgade. Ses facultés d’adaptation, son intelligence instinctive, sa connaissance des îles vont faire de lui un précieux allié pour la jeune Malvine, fille de l’empereur et nouvelle régisseuse de l’Archipel. Liesse devient ainsi son second, et lorsque la jeune femme accède au plus haut statut de l’état suite au décès de son père, c’est tout naturellement qu’il l’accompagne à la capitale, Haute-Quaïma. Sans se douter que ce n’est que le début d’une extraordinaire aventure…

Le titre de ce livre, Un long voyage, est bien sûr à prendre au sens propre comme au figuré : nous sommes bel et bien en présence d’un roman d’apprentissage de la plus belle eau, Liesse et Malvine se construisant à mesure qu’ils explorent les facettes du monde. Le lecteur assiste aux événements aux premières loges via le choix d’un « je » narratif très immersif ; une narration subjective qui s’avère aussi, bien entendu, une astuce d’écriture, car pas mal de choses se passent hors de la vue et de la connaissance de Liesse, l’ignorance induite servant de moteur à la progression de l’intrigue et au développement des personnages. Du reste, l’ensemble des protagonistes sont particulièrement travaillés, étoffés par petites touches successives qui font tout autant pour leur construction qu’une longue et soporifique description.

Claire Duvivier a choisi de situer son roman dans un contexte imaginaire. Un univers simplissime de prime abord : un Empire qui tente tant bien que mal de survivre alors que ses frontières se font de plus en plus lâches. Une fantasy sans dragons, sans guerriers, au début sans réel ressort dramatique, mais qui parvient sans problème à maintenir l’intérêt grâce à des personnages remarquablement construits et un style évocateur. Une simplicité de surface, bien entendu, car le monde imaginée par l’autrice recèle bien des mystères – qui éclateront dans la seconde partie du roman, plus dramatique, et feront définitivement basculer Liesse et Malvine dans l’âge adulte.

On ne peut lire Un long voyage sans penser à Ursula Le Guin, celle de « Terremer ». Le livre de Duvivier partage en effet de nombreux points communs avec la saga de l’auteure américaine : l’apprentissage, le décor d’archipel, la volonté d’éviter le sensationnel et de sortir l’artillerie lourde de la fantasy, et enfin, surtout, la puissance d’évocation. Pour un premier roman, il est pire héritage, et sans lui faire l’indélicatesse de la comparer à Le Guin, d’autant plus qu’il n’est pas sûr qu’elle revienne un jour dans son monde de Haute-Quaïma, Claire Duvivier montre déjà une jolie maîtrise de la construction d’un monde imaginaire et du développement de personnages à l’épaisseur évidente. Une bien belle découverte à mettre au crédit des Forges de Vulcain, et une nouvelle auteure à suivre.

Bruno PARA

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