Jack VANCE
POCKET
Critique parue en septembre 2003 dans Bifrost HS2 : Les univers de Jack Vance
Un océan. Immense, à perte de vue. Au milieu, quelques îles paradisiaques, peuplées d'hommes organisés en castes. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes s'il n'y avait le Roi Kragen. Cette énorme créature marine règne sur l'archipel par l'intermédiaire des Médiateurs, des hommes qui communiquent visiblement avec lui sans que l'on sache par quel truchement. En échange de sa protection contre les autres créatures marines (essentiellement des Kragens de taille plus modeste), les hommes le vénèrent et lui fournissent de quoi contenter sa faim dévorante d'éponges.
Le héros de ce roman, Sklar Hast, est le premier assistant du Maître Transmetteur — la caste qui permet aux îliens de rester en contact permanent les uns avec les autres. Personnage déchiré entre son envie de mettre fin à l'immobilisme de certains de ses proches et son respect des traditions, sa vie va basculer le jour où il comprend que l'Homme peut assurer tout seul sa sécurité et se défaire du joug du Roi Kragen. Dès lors, il n'aura de cesse de dynamiter les acquis de sa société, et sera prêt pour cela à semer le chaos. D'où émergera — il l'espère — un monde où lui et les siens pourront regarder les flots sans crainte.
Les ingrédients propres au dépaysement vancéen sont là : des îles idylliques, des créatures étranges (le Kragen, assez différent du monstre mythique kraken dont le nom s'inspire pourtant), une société très minutieusement créée, différente et crédible, dans sa technologie comme dans son organisation — qu'on imagine très ancienne. Quelques pages suffisent à Jack Vance pour nous la décrire, puis il plonge très rapidement ce système dans le chaos, à la suite de la tentative de Sklar de tuer un petit kragen. Dès lors, le rythme trépidant ne faiblira jamais, hormis lors d'assemblées qui sont autant de procès (tradition romanesque et filmique chère à l'Amérique). Du coup, une fois qu'on tient ce livre, on ne le lâche pas, d'autant plus qu'il est assez court (à peine deux cents pages). On regrettera peut-être la fin un peu précipitée — on aurait aimé une scène finale épique de lutte contre le Roi Kragen — mais on conseillera sans problème la lecture de ce récit d'aventures inventif, exemple éclatant — à tous les sens du terme — de ce que peut écrire Jack Vance au mieux de sa forme.