Connexion

Les critiques de Bifrost

Un pour deux

Un pour deux

Martin WINCKLER
CALMANN-LÉVY
17,90 €

Bifrost n° 51

Critique parue en juillet 2008 dans Bifrost n° 51

Dans la catégorie des romans vite lus vite oubliés, nul doute que Un pour deux s'impose comme un challenger de poids. Pourtant, la collection « Interstices », dirigée par Sébastien Guillot, nous avait habitués jusque-là à des titres beaucoup plus insolites, beaucoup plus bouleversants, beaucoup plus troublants, bref, remarquables et justement remarqués. Vous ai-je d'ailleurs avoué être tombé en pamoison après avoir lu La Voix du feu d'Alan Moore. Je ne crois pas mais, à vrai dire, tout le monde s'en fout. Pour revenir à Martin Winckler, je dois confesser sans ambages que son roman fait bien pâle figure dans la collection, si l'on fait abstraction aussi des deux oubliables pochades de Christopher Moore. Non pas que celui-ci dépareille fondamentalement par rapport à l'esprit de celle-ci. Transfictif, Un pour deux l'est sans aucun conteste. Toutefois, on ne peut s'empêcher d'être déçu par son intrigue plan-plan, de surcroît narrée sans aucun éclat à la façon d'un thriller télévisé scénarisé sous prozac. À ce scénario, il serait peut-être temps de s'attaquer, de crainte de lasser le lectorat bifrostien à force de circonvolutions interminables.

Tourmens, grande ville française imaginaire bien connue des lecteurs réguliers de Martin Winckler (comme le rappellent quelques notes en bas de page évidemment destinées aux étourdis…), est dirigée par un maire tyrannique, ancien policier obsédé de sécurité, qui mène désormais campagne pour se faire élire député car, voyez-vous, il a les dents longues, le bougre. Le personnage est petit, il s'appelle Francis Esterhazy et il a épousé un ancien top model prénommé Clara Massima… Il ne faut naturellement pas longtemps pour démasquer la personnalité publique réelle qui est la cible de Martin Winckler. La charge est lourde, la satire trop grossière pour espérer tromper la vigilance du lecteur, même en phase terminale d'assoupissement. Ville de province stéréotypée, Tourmens, à l'instar des cités provinciales filmées par Claude Chabrol, est peuplée d'une humanité hypocrite et mesquine — petite bourgeoisie qui cache à peine ses vices derrière une façade de respectabilité. Sauf qu'il n'y a pas photo : des deux créateurs, celui qui tire allègrement son épingle du jeu, c'est tout de même Chabrol. Le cinéaste excelle dans le portrait social et l'intrigue tordue pendant que l'écrivain œuvre dans la caricature avec, il faut le reconnaître, une touchante candeur. En conséquence, les personnages de Martin Winckler sont soit très méchants, affichant tous les signes extérieurs de leur veulerie, soit très gentils et sympathiques. Parmi les habitants de Tourmens, deux personnages attirent néanmoins l'attention. Ce sont les jumeaux Twain : René et Renée. Ce n'est pas vraiment le secret sur leur nature véritable qui intrigue. Sans vouloir faire de révélation fracassante, il faut reconnaître que c'est un secret de polichinelle vite éventé — en ce qui me concerne, dès leur entrée en scène (page 14), j'avais deviné celui-ci. Non, ce qui suscite un embryon d'intérêt, c'est de savoir de quelle manière l'auteur va traiter cette idée déjà vue (la confusion des sexes). Hélas, les promesses de réflexions sur l'identité et la différence des sexes (dixit la quatrième de couverture) sont à peine tenues. Martin Winckler délaisse rapidement les ressorts du huis clos psychologique entre les jumeaux et banalise irrémédiablement leurs relations avec leur entourage. Au passage, l'adaptabilité dont font preuve le docteur Marc Valène et l'inspecteur Liliane Roche est tout simplement ahurissante et confine à l'intolérance zéro. Martin Winckler se contente donc de survoler son sujet et de l'agrémenter de comptes rendus médicaux, certes très intéressants, mais anti-littéraires au possible. Et puis, la singularité des jumeaux Twain n'est finalement qu'un élément périphérique d'une intrigue ouvertement policière. Un sinistre complot médico-chirurgical, pour reprendre les termes de la quatrième de couverture ; complot qui ne fait frémir que fugitivement et ne retient l'attention que par les références explicites (on n'a même pas le plaisir de les deviner) à un florilège de séries télé. En conséquence, Un pour deux dérive inexorablement vers la sit-com légère et aseptisée. Une distraction qui n'est pas complètement honteuse mais qui ne va pas plus loin que la dernière page tournée. Une sorte de Un gars, une fille mais sans les grimaces de Jean Dujardin. Inutile d'ajouter qu'on attend avec impatience Lilliputia, prochain roman de Xavier Mauméjean qui paraîtra en septembre dans « Interstices », plutôt que le prochain épisode de ce qui s'annonce comme une trilogie. Eh oui ! Nous en n'avons pas terminé avec les jumeaux Twain et la bonne ville de Tourmens. On peut même vous indiquer que le deuxième opus s'intitulera L'un ou l'autre et le dernier Deux pour tous. Tout un programme… de télé. Nous, on zappe !

Laurent LELEU

Ça vient de paraître

La Maison des Jeux, l'intégrale

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
PayPlug