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Les critiques de Bifrost

Un secret de famille

Charles STROSS
LIVRE DE POCHE
480pp - 7,60 €

Critique parue en avril 2007 dans Bifrost n° 46

Dans le premier volume de cette trilogie, Miriam Beckstein, une journaliste économique, a reçu de sa mère adoptive, Iris, un carton à chaussures contenant des objets relatifs à ses origines, dont un pendentif qui l'a expédiée sur un monde parallèle d'aspect médiéval. Elle est désormais la riche princesse d'un clan dont l'activité principale est un lucratif trafic de drogue, impunément acheminée au client à travers l'univers parallèle. Tout le monde n'ayant pas la capacité de passer d'un monde à l'autre, Angbard, l'oncle de Myriam, attend qu'elle participe à l'entreprise familiale. Un refus signifierait la mort de Myriam. En outre, bien des gens espèrent mettre la main sur son fabuleux héritage, qui avait été gelé jusqu'à ce jour. Elle-même n'est qu'un pion dans les luttes mortelles qui opposent les diverses familles du Clan. Après plusieurs tentatives d'assassinat, Myriam a choisi de se cacher sur Terre chez son amie Pauline, d'où elle organise la contre-attaque. Elle est accompagnée de Brill, une aristocrate qui n'a pu changer d'univers que juchée sur ses épaules et qui se familiarise extraordinairement vite avec les merveilles technologiques de nos sociétés industrielles. Elle a également pris ses distances avec Roland, le cousin déconsidéré pour avoir voulu engager des réformes sociales jugées dangereuses par les tenants du pouvoir : elle l'aime toujours mais pense qu'un traître se dissimule dans son entourage.

Le seul moyen de mettre fin à ce commerce immoral, d'améliorer le niveau de vie et les conditions sociales sur l'autre monde, est de permettre aux familles de s'enrichir différemment. Myriam trouve plus lucratif le commerce des idées : il ne nécessite pas de soustraire à un univers une quantité de matériaux limitée à ce que peut porter un homme, mais permet de donner une valeur ajoutée à la matière brute tout en développant sur place une industrie prospère. La technologie de nos sociétés est trop avancée pour être exportable, mais Myriam découvre fort opportunément l'existence d'un troisième univers, d'où serait issue une fraction des gens qui cherchent à la tuer et qui, sur le plan du progrès, se situe à mi-chemin entre les deux mondes. Cette société victorienne qui connaît l'automobile et le dirigeable est cependant dirigée par un gouvernement totalitaire des plus répressifs.

C'est donc en voyageant dans trois univers différents que Myriam déjoue les plans des factions acharnées à sa perte et met en place un commerce idyllique qui jette les bases d'une société plus égalitaire. Celles-ci empruntent essentiellement au père de l'économie politique, Adam Smith, auquel Stross rend hommage à travers quelques vibrants plaidoyers sur les vertus de la production industrielle, qui offre à l'homme de la disponibilité, en même temps qu'il balaie les remords post-coloniaux des sociétés avancées craignant de détruire d'anciennes cultures en lui apportant la technologie (Allez donc vivre dans une hutte pendant deux ans !). Ces discours libéraux ne sont pas entièrement tempérés par ceux d'un autre analyste économique, Karl Marx, auteur d'un Réexamen de l'Exode de Hanovre, qu'on lit sous le manteau dans le troisième univers. Stross se fonde d'avantage sur le sens moral des dirigeants pour éviter les dérives d'une économie de marché trop libérale que sur un réel contre-pouvoir. Par ailleurs, la révolution conceptuelle de son héroïne est un peu trop facilement menée : un seul discours suffit à gagner les membres du Clan à sa cause. Les arguments, très rationnels et fondés sur les réflexes égoïstes des auditeurs, sont, certes, convaincants, mais on est surpris que Myriam rencontre si peu d'opposition dans sa remise en cause de traditions, sachant le pouvoir dont disposaient, dans nos sociétés médiévales, les puissances religieuses qui n'avaient pas leur pareil pour tuer dans l'œuf les révolutions scientifiques, religions qui sont ici à peine évoquées.

Mais Charles Stross masque habilement les insuffisances de sa démonstration avec un récit prenant, servi par des personnages intéressants. L'avalanche de péripéties ne laisse pas au lecteur le temps de porter un regard critique. Certains coups de théâtre nous ramènent même à l'époque de Molière, mais le dynamisme et la conviction sont tels qu'on se laisse malgré tout emporter par l'histoire jusqu'à la dernière page.

Claude ECKEN

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