Shaun HAMILL
ALBIN MICHEL
416pp - 24,00 €
Critique parue en octobre 2019 dans Bifrost n° 96
L’attrait pour les récits d’horreur, particulièrement ceux de Lovecraft, est-il dangereux ? On pourrait le penser en suivant la trajectoire de la famille de Harry et Margaret Turner, un couple de la middle class d’une petite ville du Texas, Vandergriff. Harry a une fabuleuse collection de pulps et romans et prépare pour Halloween une maison de l’horreur à laquelle toute la famille, Margaret, les filles Sidney et Eunice, de même que les voisins, participent. Mais un jour, Eunice voit un personnage à la fenêtre et sa mère y découvre des traces de griffes, sauf qu’il est impossible de déterminer si ces marques n’étaient pas présentes avant l’acquisition de la maison. Si monstre il y a, c’est peut-être Harry – dont le comportement est parfois violent. La cause est cependant plus prosaïque que fantastique…
Son troisième enfant, Noah, narrateur du présent récit, est né juste un peu avant son décès. Enfant solitaire et délaissé, Noah reçoit l’affection de sa sœur Eunice, qui lui lit Lovecraft avant de se coucher. Il finit par voir à sa fenêtre un vrai monstre à tête de loup, capable, entre autres, de voler. Loin de s’en effrayer, il apprend à communiquer avec lui, en fait son Ami, et nourrit durant des années des relations très intimes ponctuées de quelques disputes et rejets. Le fantastique est aussi devenu le cœur de métier du reste de la famille et des voisins associés qui prospèrent avec des attractions de maison hantée d’un type nouveau. Cependant, des drames secouent la petite ville, notamment des disparitions inquiétantes. S’agit-il d’un effet paratonnerre ?
Difficile de classer ce roman : l’ombre de Lovecraft, et aussi celle de King, plane en permanence, à travers des références explicites, depuis la cité de Kadath en passant par Le Rôdeur devant le seuil, sans oublier d’autres références à Ann Rice ou Le Guin, ou à travers des patronymes comme Hawthorne, Gaines, James O’Neil… L’ambiance est cependant moins fantastique qu’orientée vers la culture fantastique, version comics et parc d’attractions. Il s’agit avant tout d’une chronique familiale qui suit les Turner sur quelques décennies, avec ses hauts et ses bas, les révoltes adolescentes, les éveils troubles de la sexualité et les drames plus tardifs. Il s’avère en tout cas que le réel regorge de monstres en tous genres, qui impactent davantage la vie des protagonistes. Une constante se dégage autour du mensonge, pour de bonnes ou mauvaises raisons, qui pervertit les relations et éloignent les gens. Les deux trames, réaliste et fantastique, se rejoignent insensiblement dans un final qui bascule définitivement dans un univers lovecraftien.
En cours de récit, Shaun Hamill réfute l’affirmation de Stephen King selon laquelle le fantastique est un genre moral où le Mal est éradiqué à la fin : cela dépend de l’endroit où placer le curseur de fin. Dans la vie, le happy end est rare. Pourtant, le roman s’achève avec la conviction très états-unienne que si la vie transforme n’importe qui en monstre, la métamorphose n’est jamais irréversible grâce à l’amour, au pardon, et bien sûr à la famille.
Quelques bons passages parsèment ce premier roman, un peu maladroit mais sincère, autobiographique par endroits, hommage appuyé au maître de Providence et au panthéon fantastique dans son ensemble.