Après Le Cercle de Farthing et Hamlet au paradis, l’uchronique trilogie du « Subtil changement » arrive à sa conclusion avec Une demi-couronne. Les deux premiers volets – respectivement un impeccable whodunit et un haletant thriller – avaient placé la barre très haut : ce dernier tome sera-t-il du même niveau ?
Dix ans ont passé depuis les événements narrés dans Hamlet au paradis : en cette année 1960, l’Angleterre vit sous un régime ouvertement fasciste et antisémite. Le Premier Ministre Mark Normanby n’a-t-il pas lancé la construction d’un camp de concentration ? La « guerre de vingt ans » – nom donné au second conflit mondial – a pris fin, laissant l’Allemagne et le Japon grands vainqueurs, et Londres se prépare à accueillir une conférence de paix. Aussi Normanby charge-t-il Peter Carmichaël, désormais chef du Guet, la police secrète du Royaume-Uni, de veiller à la sécurité du pays : le peuple s’agite, et le retour annoncé du Duc de Windsor, séide notoire d’Adolf Hitler, n’arrange rien. Si Carmichaël est l’une des personnalités les moins appréciées d’Angleterre, il est secrètement à la tête d’un réseau d’exfiltration de Juifs – une activité illicite ignorée de tous, bien entendu, y compris de sa pupille, Elvira Royston. Il faut dire que la jeune fille ne manque pas de préoccupations propres à son âge : son entrée imminente dans la haute société britannique, la quête d’un époux et sa présentation à la reine. Or, sa présence fortuite lors d’une manifestation qui dégénère lui vaut d’être arrêtée. De là à se demander si, à travers Elvira, ce n’est pas Carmichaël que l’on cherche à atteindre…
Avec Une demi-couronne, Jo Walton assoit l’unité de sa trilogie en conservant le même dispositif narratif que dans les précédents volumes : les chapitres racontés à la première personne par le protagoniste féminin – ici, la jeune Elvira – alternent avec ceux dédiés à Carmichaël. Mais à la différence du Cercle… et de Hamlet…, Une demi-couronne patine, et sa brièveté s’avère ici un défaut. En dépit de l’intéressante peinture d’une haute société engoncée dans sa rigidité, les atermoiements d’Elvira, adolescente agaçante, peinent à passionner, et l’intrigue ne décolle que tardivement. Conséquence : la fin apparaît précipitée, peine à convaincre et laisse trop de questions à l’imagination du lecteur. Des réserves, donc, même si sur le fond, la trilogie du « Subtil changement » est un sans-faute plus que jamais d’actualité en cette période où l’on assiste à la tentation des extrémismes et où l’hypothèse d’une dérive autoritaire et sécuritaire semble de moins en moins… hypothétique, justement. Il n’en reste pas moins que sur la forme, il faut se contenter d’un troisième tome un bon cran en deçà des deux premiers, une conclusion hâtive à ce qui aurait pu devenir une excellente trilogie.
Allez, on se consolera sûrement de cette Demi-couronne en demi-teinte avec les prochains romans de Jo Walton annoncés dans la collection « Lunes d’encre » : Tooth and Claw et surtout My Real Children, qu’auréole une jolie réputation.