Marge PIERCY, (non MENTIONNÉ)
GOATER
520pp - 19,50 €
Critique parue en octobre 2022 dans Bifrost n° 108
Latina vivant dans le New York des 70s, issue d’un milieu défavorisé, Consuelo « Connie » Ramos subit de plein fouet une société inégalitariste qui brime son existence : obligée de renoncer à ses études à cause de sa grossesse, elle trouve refuge dans l’alcool et la drogue pour oublier les violences de son compagnon. Cette violence se retourne contre sa propre fille, et voici Connie internée en asile psychiatrique après avoir perdu la garde de son enfant. Toujours prête à combattre à sa sortie, elle s’interpose entre sa nièce et le proxénète de celle-ci, mais ce dernier réussit à la faire interner de nouveau. L’asile ressemble davantage à une maison de correction qu’à un lieu de soins : insalubrité, drogues, électrochocs… Les traitements les plus durs se succèdent, et Connie risque de devenir le cobaye d’une thérapie cruelle consistant à implanter des électrodes directement dans son cerveau. Là encore, elle trouve la force de lutter, grâce notamment aux visites d’un voyageur du futur, androgyne nommé Luciente, qui lui présente un des mondes possibles à venir : Mattapoisett, où les inégalités de race, de classe et de sexe ont disparu au profit d’un épanouissement personnel libéré des contraintes sociales, loin de tout hétéropatriarcat. Mais Connie comprend que d’autres futurs existent aussi, plus sombres, et que son combat actuel conditionne l’avènement d’une société plus juste…
Voici enfin traduit en français un roman qui marqua lors de sa parution en 1976, d’une auteure à l’œuvre foisonnante et internationalement reconnue, poétesse, nouvelliste, romancière, très engagée dans les luttes sociales. Ce roman, réédité près d’une dizaine de fois en anglais, se rattache à la SF féministe et trouve sa place aux côtés de ceux d’auteurs comme Ursula K. Le Guin, même si, par sa tonalité, il en diffère beaucoup. Si débat il y eut à sa sortie sur sa réelle originalité ou non (les œuvres se multipliaient alors en effet pour de mêmes dénonciations d’une société oppressive), ce qui frappe le plus à sa lecture aujourd’hui est l’extrême actualité de tous les thèmes abordés : dégradation de l’environnement naturel, de la santé mentale et des traitements proposés, homophobie, xénophobie, violences sexistes et sexuelles, consumérisme, violences de classe… On ne peut qu’être saisi de la clairvoyance de Piercy sur ce futur d’alors qui semble bel et bien aujourd’hui notre présent. L’âpreté de la fiction des années 70 ressemble au sommaire d’un journal quotidien de 2022. Si ce roman pèche parfois par ses longueurs, c’est sans doute par volonté démonstrative, mais sa traduction française vient aujourd’hui faire date dans notre pays, comme pour nous aider à prendre conscience du temps écoulé depuis la volonté utopiste des seventies et, finalement, le peu de changement qui s’est opéré dans notre société alors que l’urgence ne fait que grandir. Un ouvrage tout à la fois contemporain et classique, à posséder par tout honnête Bifrostien ou Bifrostienne.