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Les critiques de Bifrost

Une ordure

Une ordure

Irvine WELSH
SEUIL
507pp - 8,10 €

Bifrost n° 49

Critique parue en janvier 2008 dans Bifrost n° 49

Tout le monde, ou presque, connaît au moins le titre d’un des livres d’Irvine Welsh : Trainspotting. Un roman qui, en son temps, a fait l’effet d’une bombe. Et il n’est pas exagéré de dire qu’avec ce seul livre, Welsh a révolutionné la littérature anglaise, l’atomisant et la réinventant tout à la fois. Il y a un avant et un après Trainspotting. L’influence de ce roman génial est encore palpable aujourd’hui, et pas seulement dans la littérature anglo-saxonne. Mais considérer Welsh comme l’homme d’un seul livre, ce serait faire une grosse erreur. La suite l’a prouvé. D’abord avec l’excellent Ecstasy, et surtout avec Une ordure (Filth en VO), un roman radical, rageur, et qui fait mal. Très mal. On peut d’ailleurs parier que certains lecteurs n’iront pas au bout de ces 508 pages, et abandonneront cette lecture en cours de route. Alors, vous me direz : mais qu’est-ce qu’il y a donc dans ce foutu bouquin qui le rend si explosif ? Eh bien, dans ce foutu bouquin, il y a Bruce Robertson, un brigadier de la police d’Edimbourg. Un flic haineux, raciste, homophobe, vicieux, violent, manipulateur, cynique, misogyne, et totalement corrompu… Rien ne l’arrête. Ruiner la carrière et la vie de famille de ses collègues, voire de son meilleur ami, pourquoi pas ? Tourner un film porno dans une grange, dans lequel une jeune femme se fait prendre par un chien, pourquoi non ? Si ça peut rapporter un peu d’argent… Bruce Robertson se considère d’ailleurs comme un bon flic, un vrai flic, à l’ancienne, exemplaire et efficace. Un digne représentant de la loi et de l’ordre social. Mais à quoi lui sert d’être flic, si ce n’est pas pour en profiter au maximum ? Alors c’est bien ce qu’il fait, nuit et jour. Et pour entretenir sa forme, il a une recette à lui : un mélange chimique à base de cocaïne, d’amphétamines, de barres de Kit Kat, de nourritures grasses et d’alcools forts. Son but ultime, c’est d’être promu inspecteur. Et pour ça, il est prêt à tout. Mais avant d’y parvenir, il lui faudra mener à bout une enquête concernant le meurtre d’un jeune noir, assassiné à coups de marteau. Et il devra également faire face à l’apparition inopinée, dans son organisme, d’un étrange ver solitaire, très bavard et un peu philosophe.

Une ordure est une lecture éprouvante. Une immersion totale dans le quotidien d’un salaud ordinaire, d’un type infect et fier de l’être. Le parti pris d’Irvine Welsh est aussi simple qu’extrême : pendant plus de 500 pages, il laisse la parole à Bruce Robertson. Ses propos sont choquants, insupportables, voire même carrément vomitifs. Mais c’est à prendre ou à laisser. Au lecteur d’accrocher sa ceinture. Irvine Welsh montre la vérité de cet homme, de cette ordure, dans toute sa crudité. Il sculpte cette pâte humaine à mains nues, sans avoir peur de se salir les doigts. Il tranche dans le lard, et ça éclabousse. Tout simplement parce que pour lui, la littérature, la vraie, est à ce prix. Et tant pis s’il perd quelques lecteurs. Il faut d’ailleurs attendre la toute fin du livre — avec une surprise qu’on ne révélera pas — pour que le récit prenne tout son sens, et pour que les failles de Robertson apparaissent enfin. Bon, ceci étant dit, il y a quand même beaucoup d’humour dans ce roman. Et notamment avec les nombreuses interventions du ver solitaire qui a élu domicile à l’intérieur de l’organisme de Robertson. Car ce surprenant parasite est bien décidé à sauver l’âme — et le corps — de son précieux hôte : un ange gardien, sous forme de ver solitaire, il fallait y penser !

Ajoutez à ça l’écriture coup de poing de Welsh, qui donne au personnage de Robertson une intensité et une vérité saisissantes. Et vous obtenez un roman magistral, d’une puissance de frappe rarement atteinte. Lire du Irvine Welsh, c’est un peu comme mettre ses doigts dans une prise électrique : c’est du 220 volts, et ça secoue vraiment. Cet homme est un grand énervé. Tant mieux. C’est surtout l’un des meilleurs écrivains d’aujourd’hui, le digne héritier de Hubert Selby Jr et de William Burroughs. On a d’ailleurs pas fini d’entendre parler de lui, puisqu’on annonce la parution imminente (au Diable Vauvert) de deux romans : Porno, la suite de Trainspotting, et Recettes intimes de grands chefs, un conte fantastique. 

Xavier BRUCE

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