Imaginez deux planètes jumelles, Favor et Dunaskite. Imaginez un tube artificiel et creux de 126 000 kilomètres de long et 815 de diamètres empli d'air et dont les parois, qui n'excèdent pas six mètres d' épaisseur, sont constituées de diamant… Ce tube, l'Axis, « l'une des dix merveilles de l'univers », construit par une mystérieuse race extraterrestre, relie Favor et Dunaskite. Imaginez maintenant une plante, l'ambrozia, elle aussi créée par les Vangk, ces fameux extraterrestres qui ont bâti l'Axis il y a 100 000 ans. Imaginez que Dunaskite abrite la variété mâle de cette plante, Favor son pendant femelle. Tous les quatre ans, « l'ambrozia mâle libère des androgamètes, qui migrent vers Favor afin de féconder la plante femelle ». Cette migration s'effectue grâce à l'Axis qui, tel un cordon ombilical, est alors littéralement envahi par les nuées migratrices… L'ambrozia est la principale source de revenu des deux planètes et à fait la fortune de la DemeTer, la multimondiale qui l'exploite. Dans de telles conditions, on comprend combien les destins des mondes jumeaux sont liés, combien complexe est la situation réunissant trois peuples (car l'Axis est lui aussi habité) interdépendants à un point tel que la moindre des tensions peut prendre des proportions dramatiques. Aussi, quand les attentats se succèdent et que le spectre de la guerre ouverte menace de bouleverser le précaire équilibre, la DemeTer décide d'envoyer sur place Jarid Moray l'un de ses meilleurs agents, politicien hors pair qui a déjà fait preuve de l'étendue de ses capacités de médiateur (voir Dans la gueule du dragon, même éditeur).
Ainsi donc, le Genefort nouveau est arrivé ! Et qu'il nous ait fallu l'attendre un peu plus que d'habitude rassure : voici le signe qu'il est désormais possible à l'auteur de publier moins et, donc, de peaufiner davantage. Et pas de doute : le résultat est là. Car si Une Porte sur l'éther n'est pas un chef-d'œuvre, il est évident que certaines des failles des précédents romans sont moins flagrantes, tandis que, bien sûr, les qualités habituelles des travaux de Genefort n'ont en rien disparu.
Une Porte sur l'éther frappe tout d'abord, et ça n'a rien de nouveau chez Genefort, par l'ampleur du cadre choisi. Car — comme d'habitude, est-on tenté d'écrire — l'auteur fait fort au niveau du décor, de l'environnement dans lequel l'histoire prend corps. Un postulat riche d'images évocatrices, un décor qui sent la grosse production en cinémascope. Bref, jusque là, rien d'anormal pour du Genefort. Idem dans le fait que, scientifiquement, tout cela respire la cohérence, la vraisemblance. Genefort est un des rares (le seul ?) auteurs français sensibles aux manières de la hard-science. C'est là qu'est son originalité et tout son intérêt. Et lorsqu'il a un doute, qu'il ne sait pas, il s'adresse à ceux qui savent… Gageons que les remerciements en fin d'ouvrage à Jean-Louis Trudel, auteur de hard-science (principalement), canadien et scientifique de profession, vont en ce sens.
Si Genefort nous a habitué aux remerciements à l'intention du monde scientifique en fin d'ouvrage, est ici remerciée une autre personne, également scientifique de formation et tout aussi auteur de SF que le précité Jean-Louis Trudel, je veux parler de Jean-Claude Dunyach. Bien que scientifique, Dunyach n'en est pas pour autant auteur de hard-science. Ses écrits sont résolument tournés vers l'humain, ses personnages d'une grande finesse, d'une remarquable épaisseur… autant de caractéristiques qui font souvent défaut aux protagonistes mis en scènes par Genefort. Aussi, ces remerciements là n'ont pas manqués de m'intriguer. Dès les premières pages d'Une Porte vers l'éther, le doute est levé : les contributions et conseils de Dunyach semblent évidents — ce qui m'a d'ailleurs été confirmé par Genefort, ce dernier allant même jusqu'à parler de Dunyach comme d'un directeur d'ouvrage… Et le résultat est là. Le personnage de Jarid Moray qui manquait singulièrement d'épaisseur dans Dans la gueule du dragon, acquiert ici une véritable dimension, un relief tout humain dans ses rapports avec le monde, les être qu'il rencontre, les liens qui le lient à son I.A., etc. Jusqu'à la construction narrative du roman qui met en œuvre, sans génie mais de façon efficace, une double ligne narrative. C'est certes encore assez froid, ça et là un tantinet mécanique, la résolution de l'histoire manque peut être de flamboyance, apparaît par trop abrupte… Mais quoi ? Tout ceci va incontestablement dans le bon sens — force est de souligner l'intelligence d'un auteur qui sait situer ses failles et travaille à les combler, Genefort signe ici un roman d'aventures hard-science dépaysant et nous offre un moment de lecture agréable. De quoi patienter en attendant Omale, un gros roman sur lequel l'auteur travaille depuis un certain temps, et premier opus d'un cycle à paraître en « Millénaires » chez J'ai Lu.