Roger ZELAZNY, Theodore STURGEON
J'AI LU
253pp - 4,80 €
Critique parue en juillet 2009 dans Bifrost n° 55
Au début des années 60, bien avant la parution de son premier roman, Roger Zelazny fait une entrée fracassante dans le petit monde de la science-fiction avec une (grosse) poignée de nouvelles. Par leurs « audaces » stylistiques, par leurs thématiques lorgnant ouvertement plus du côté des sciences humaines que des sciences « dures », ces textes valent alors à leur auteur l'admiration de ses pairs et du public, lesquels s'empressent de lui ériger un piédestal au sein de la dernière des petites cases éditoriales, la new wave. En 1967, quatre des nouvelles les plus marquantes de cette première période se trouvent réunies dans le recueil Une rose pour l'ecclésiaste, accompagnés d'une préface dithyrambique de Theodore Sturgeon.
Qu'on le découvre ou qu'on le relise, le recueil conserve aujourd'hui tout son intérêt, avant tout parce qu'il s'agit de très bons textes, voire, n'ayons pas peur des mots, de chefs-d'œuvre. Des océans furieux de Vénus où rôde un Léviathan captivant ses chasseurs aux plaines arides de Mars arpentées par un poète prétentieux jouant les Prométhée, des espaces interstellaires où se pourchassent des êtres d'exception aux sanctuaires d'une jet-set désabusée en quête d'une invivable immortalité, le jeune Zelazny d'alors fait la preuve de son incroyable talent. En quelques mots, quelques lignes, le ton est donné, avec cette atmosphère mythologique qui pourrait être une marque de fabrique, ces personnages solidement plantés et comme déjà familiers au lecteur, d'autant plus facilement pris dans les filets de l'auteur que si l'on peut lui reprocher un certain manque de contrôle sur la structure de ses romans, Zelazny maîtrise nettement mieux le rythme de ses nouvelles : celles composant Une rose pour l'ecclésiaste relèvent de cette catégorie de textes qui se révèlent impossibles à lâcher sitôt entamés. Et si l'ambition stylistique qui marque son œuvre rend, ici comme ailleurs, certains passages un peu pompeux, l'ensemble réussit toujours à mêler avec bonheur érudition, humour et émotion.
Bien sûr, plus de quarante ans ont passé depuis la première parution de ces nouvelles, et la new wave a achevé son office ; la S-F a assimilé les extravagances et les expérimentations formelles ou thématiques de l'époque et ces quatre textes, malgré leurs qualités intrinsèques, n'auraient probablement pas le même impact s'ils étaient publiés aujourd'hui. Mais ce qu'ils perdent en nouveauté, ils le gagnent en perspective, préfigurant les principaux ressorts thématiques d'une œuvre qui, déjà, ne s'interdit d'exploiter aucun cadre. Ainsi la mort, réelle ou figurée, « vécue » ou côtoyée, s'impose comme le pivot de ces quatre textes, de leurs intrigues comme de leurs personnages ; ces héros, toujours plus grands que nature mais jamais infaillibles, sont dans leur démesure la lentille par laquelle Zelazny plonge son regard au cœur de l'homme, déjà au centre de ses préoccupations.
Quiconque voudrait aujourd'hui lire des nouvelles de Roger Zelazny sans pour autant courir après des dizaines de revues jaunies et souvent hors de prix n'aurait guère le choix : outre quelques rares textes disséminés de-ci de-là (à commencer par « Permafrost » dans le présent numéro de Bifrost), les seuls recueils publiés en France sont un « Livre d'or », chez Pocket, hautement recommandable mais depuis longtemps épuisé, et Une rose pour l'ecclésiaste. En attendant que paraissent enfin l'intégrale raisonnée annoncée chez Denoël « Lunes d'encre », précipitez-vous donc sur ce recueil : ces quatre textes ont tous quelque chose à offrir et, à eux seuls, justifient amplement la place de choix qu'occupe Zelazny parmi les grands auteurs du genre.