Guillaume CHAMANADJIAN
AUX FORGES DE VULCAIN
448pp - 22,00 €
Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117
Après le succès éditorial du double cycle de la « Tour de garde », co-imaginé avec Claire Duvivier, comment rebondir ? Et la réussite sera-t-elle au rendez-vous ? Dans le cas de Guillaume Chamanadjian, qui signait ses premiers romans avec la trilogie « Capitale du Sud », le défi était de taille, et à la mesure de l’attente. Alors, échec ou réussite, ce nouveau Chamanadjian ? À voir… Par certains aspects, l’auteur reste en terre familière : l’histoire relève toujours de la fantasy, elle se déroule encore dans une ville surpeuplée à l’atmosphère méditerranéenne (située dans les Alpes, entre Italie et Autriche à peu près), et s’interroge encore sur la manière dont la fiction façonne le monde.
Les ressemblances s’arrêtent toutefois là. Le récit d’Une valse pour les grotesques s’inscrit dans un xviiie siècle qui pourrait nous être familier, avec la mention d’un empire austro-hongrois, d’une jeune Mary Godwin amoureuse d’un Percy Shelley ou d’un certain Bonaparte, général redouté. Quelques détails indiquent toutefois qu’à Schattengau, où se déroule l’intrigue, le cours du temps n’a pas suivi la même route que le nôtre. Un Louis XVII semble régner sur la France, l’université au cœur et à l’origine de la ville depuis cinq cents ans mélange allègrement sciences et arts, à l’image de son fondateur, Mirabile, astrologue érudit qui n’est pas sans rappeler un certain Nostradamus… Et dans tous les recoins de la ville se trouvent d’étranges statues, les « grotesques » du titre. Nous allons suivre les destins croisés de trois personnages : Johann, étudiant en médecine et artiste passé de la peinture à la sculpture de modèle anatomique en cire, Sofia, fille de mercenaire, et Renata, réfugiée de Galata et dame de compagnie du château. Quand Johann est brutalement capturé par Sofia sur la suggestion de Renata afin d’examiner le fils du dirigeant local et son étrange anatomie, les trois vont peu à peu dévoiler les mystères expliquant l’existence même de Schattengau…
Jouant avec les références historiques, littéraires et musicales, l’auteur livre une fable tragique sur l’hubris et la façon dont certains veulent refaire le monde à leurs images et à leurs désirs. Et sur le pouvoir de la fiction pour échapper à ses peines, ses souvenirs ou ses erreurs, et tenter de se réinventer sans cesse. Humains ou grotesques, les personnages de ce récit, qu’ils soient au premier plan, simples seconds rôles ou silhouettes dans un coin du décor, se révèlent pétris de failles et de charmes. Et le récit, avec ses méandres et ses allers-retours entre passé et présent, ses tours et détours, vous emporte au fil des pages comme entrainé par l’air d’une mélodie longtemps oubliée et profondément aimée.