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Les critiques de Bifrost

Une vie de saint

Christophe SIÉBERT
AU DIABLE VAUVERT
496pp - 24,50 €

Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119

Livre après livre, Christophe Siébert continue son exploration de Mertvecgorod et des figures qui la hantent. Mertvecgorod, métropole hyper-polluée ayant fait du traitement des déchets sa fortune, capitale d’une république post-soviétique coincée entre Russie et Ukraine dirigée par une clique d’oligarques, n’est pas la destination de villégiature idéale : si le nombril du monde se trouve à Delphes, son anus se situe très probablement à Mertvecgorod.

Avec Une vie de saint, l’auteur s’intéresse à Nikolaï le svatoj (c’est-à-dire le saint), déjà entraperçu dans le volume initial de cet ensemble romanesque, Images de la fin du monde (cf. critique dans notre 99e livraison), et développe certaines séquences, à la façon d’un zoom avant. Images… s’ouvrait par la préparation et l’exécution d’un attentat, mené par Nikolaï, qui réussit trop bien et dévaste une partie de la ville en plus de coûter la vie à des milliers d’habitants : Une vie de saint débute aussi par cet événement traumatisant, à même, peut-être, de changer cette métropole.

Manière de Raspoutine moderne, le svatoj traverse l’histoire récente de Mertvecgorod, des années 70 jusqu’à nos jours : tour à tour ermite errant dans les steppes russes, éminence grise des puissants, cadavre puis, revenu d’entre les morts, messie chez les laissés-pour-compte de la ville. Pour brosser le portrait de ce personnage hors-norme, Siébert opte pour une narration éclatée : reportage, textes censément écrits par le svatoj et autres extraits de textes composent une mosaïque cradingue. Au fil des pages, on croise toute une galerie de personnages abjects, aussi férus de répugnants rituels ésotériques que de trahisons. Deux pièces maîtresses se distinguent du volume : « Histoire du Golem », où Nikolaï retrace sa jeunesse par le prisme de la fiction, et « Écrits de prison », où un condamné à mort raconte ses derniers jours ainsi que la fin du svatoj.

Aussi débectant que soit l’ensemble, on ne peut s’empêcher de tourner les pages avec une fascination inquiète. Néanmoins, sûrement trop long, Une vie de saint perd sur la durée de son aspect abrasif ; de plus, les changements de narrateur n’affectent guère le registre général et la même litanie d’horreurs tend au ressassement (surtout si, comme l’auteur de ces lignes, vous avez enchaîné Images de la fin du monde et Une vie de saint). Dommage aussi qu’une poignée de détails brisent l’immersion (de la toundra dans la steppe pontique, vraiment ? et pourquoi ces accords fluctuants dans les noms de famille des personnages féminins ?). Gageons toutefois que les amateurs seront ravis de retourner à Mertvecgorod et de voir approfondie la biographie de l’un de ses habitants les plus ambigus ; pour les néophytes, Images de la fin du monde demeure une porte d’entrée plus accessible.

 

Erwann PERCHOC

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