Les imaginaires post-apocalyptiques ont de nos jours la cote et le décor de Unity rattache bel et bien ce roman à ce fonds sans doute trop riche. Milieu du XXIIe siècle, autant dire demain. La Terre est devenue bien peu habitable, à force de réchauffement climatique et de guerres nucléaires ou biologiques. Pourtant la civilisation se maintient, non plus tenue à bout de bras par les ultimes héritiers des États-nations, mais par des formes de coopération – dont le commerce et la culture – et au fond, par les forces conjuguées de l’habitude et du désespoir. Le pire est à venir, bien sûr, sous la forme d’un conflit nanotechnologique imminent promettant son ultime transformation à la planète à travers le scénario de la gelée grise, nommée ici « le Gris » : une issue cauchemardesque mais vraisemblable, puisque les derniers acteurs d’envergure étatique sont engagés dans une guerre de moins en moins froide. En 1962, les acteurs de la crise de Cuba voyaient leur rationalité soutenue par leurs incertitudes : en 2159, et selon Elly Bangs, la succession des catastrophes vient faire de la raison un ennemi de la survie du plus grand nombre, puisque l’expérience montre « que l’apocalypse a déjà eu lieu » et « qu’il est possible d’en tirer parti » : alors, pourquoi la redouter ?
Indissociable de ce thème post-apocalyptique – puisqu’ils sont proclamés en même temps dès la deuxième page du roman – est celui de la post-humanité, qui semble définir au fond beaucoup mieux Unity. Dans ce futur de cauchemar, l’espèce humaine continue à s’interroger quant à sa nature et à la relation toujours plus poussée qu’elle entretient avec ses outils. Si les aquapoles ne sont que des variations sur le thème de l’habitat humain (enclore un espace afin d’en maîtriser au mieux l’environnement), la citation des implants cybernétiques se révèle plus audacieuse puisqu’elle permet aux individus de s’interfacer avec un Internet amélioré, ou d’augmenter leurs performances, par exemple au tir. Bien qu’au bord de l’extinction, l’humanité ne renonce par conséquent pas à envisager sa propre évolution – et elle le fait d’autant moins que certains de ses représentants vont bien plus loin que d’autres sur ce chemin sans fin. L’unité à laquelle fait référence le titre est en réalité celle d’un individu multiple, dont la nature est affirmée dès les premières pages, qui, à la faveur d’une percée scientifique, devient capable d’hybrider ses souvenirs et sa conscience avec ceux des autres. Elly Bangs ne tombe toutefois pas dans le piège qui consisterait à faire de cette étonnante idée une panacée : réécrire la mémoire des gens a plusieurs implications possibles, et il en est certaines qui sont horrifiantes par leur stérilité – ce qui oppose au personnage de Danaë au moins deux ennemis terrifiants.
L’espèce humaine ordinaire ayant failli dans sa gestion du monde, il devient peu à peu évident au lecteur que la solution, s’il en est une, viendra des personnages qui assument et comprennent leur propre post-humanité. La leçon pourrait se résumer par les simplistes l’union fait la force et tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir – et pourtant, elle reste belle et convaincante car assez originale en SF contemporaine. Elly Bangs signe donc ici un roman de SF important et d’une belle ambition : bravo !