Thomas SPOK
AUX FORGES DE VULCAIN
408pp - 19,00 €
Critique parue en octobre 2018 dans Bifrost n° 92
À la croisée de l’Historia regum Britannia de Geoffroy de Monmouth et de l’œuvre de Robert de Boron, Uter Pandragon convoque le ban et l’arrière-ban du légendaire arthurien pour accoucher d’une fantasy chevaleresque délicieusement anachronique. Ne tergiversons pas un instant, le jeune auteur français, dont il s’agit ici du premier roman, livre avec Uter Pandragon un récit tenant plus de la « Matière de Bretagne » que de l’histoire des âges sombres de la Grande-Bretagne. Pour qui n’est pas un familier du légendaire, rappelons que les romans arthuriens forment un vaste corpus de textes ayant contribué à forger la culture d’une grande partie des élites aristocratiques européennes au Moyen-âge. Une œuvre dont on peut suivre l’évolution au fil de ses multiples réécritures, ajouts et autres amendements ayant contribué à tisser un cycle au moins aussi populaire que celui de Star Wars, si l’on peut se permettre un parallèle osé avec l’époque contemporaine (et peut-être pas tant que cela, si l’on pense aux nombreux emprunts de la saga lucasienne aux motifs traditionnels de la littérature chevaleresque). Bref, Thomas Spok se laisse aller à réinventer la légende, nous délivrant une version épique jalonnée de combats et de batailles acharnées dépeints comme autant de tableaux, mais aussi fantastique car traversée de moments surnaturels propices à une magie païenne ou d’obédience plus chrétienne. Des visions surréalistes, à la frontière de l’allégorie, où s’affrontent les champions de causes antagonistes.
Sans rien céder à la symbolique chrétienne, Thomas Spok imagine ainsi un astucieux syncrétisme entre le monde celte et celui de Byzance, entre le christianisme, ardent et conquérant, et le paganisme primitif, toujours aux aguets dans les angles morts de la civilisation, au cœur des forêts, telle Brocéliande. L’auteur français déroule un récit tragique, animé par le fatum, la vengeance et surtout la foi, objet de toutes les convoitises et ultime viatique du pouvoir. Chemin faisant, il fait et défait les archétypes imaginés par Robert de Boron et ses devanciers, réinterprétant la « Matière de Bretagne » à sa manière en donnant la part belle aux outsiders. Sous sa plume très travaillée, Merlin, fils du diable, combat son atavisme paternel tout en essayant de donner corps aux oracles de ses visions. Et pendant que Vortigern sombre dans la folie et le néant, dévoré par l’ombre de Constant, le précédent souverain britton dont il a été le sénéchal avant d’usurper le pouvoir, les Saisnes, par l’intermédiaire de leur chef Hengist, placent leurs pions pour tenter d’accaparer les terres bretonnes. Quant à Uter et Pandragon, les fils du souverain défunt, ils fourbissent leurs armes, attendant le moment propice pour reconquérir leur trône.
Première pierre d’une trilogie dont les épisodes peuvent se lire indépendamment les uns des autres, Uter Pandragon devrait être suivi d’une préquelle consacrée au personnage de Merlin et d’un autre roman centré sur la quête du Graal. L’occasion de suivre les aventures de Gauvain, Perceval et Judas. Il va sans dire que l’on auscultera cela de très près.