Neil GAIMAN, Robert Charles WILSON, Sara DOKE, Claude ECKEN, Pierre BORDAGE, AYERDHAL, Nancy KRESS, Laurent QUEYSSI, Laurence SUHNER, Xavier MAUMÉJEAN, Tommaso PINCIO
ACTUSF
292pp - 14,00 €
A l’instar du Beaujolais, l’anthologie Utopiales suscite tous les ans l’impatience d’un lectorat avide de nouvelles science-fictives, rappelant par la même occasion aux éventuels étourdis la tenue du plus important festival de SF de l’Hexagone. Pour l’année 2012, le thème général était celui des origines. Doté d’un sommaire alléchant, le cru s’annonçait sous de bons augures. Hélas, il a fallu vite déchanter face à une mise en bouche décevante.
Et cela commence dès la préface nous invitant à lâcher prise pour succomber au plaisir régressif de la célébration du passé. On a connu plus inspiré comme passage de témoin… D’ailleurs les deux premiers textes, ceux de Pierre Bordage et de Sara Doke, se vautrent dans les clichés les plus poussifs d’une SF égocentrée. Ces dangereuses visions pour bisounours, supposées drôles ou tendres, apparaissent surtout comme un summum de ringardise, dignes des pires élucubrations du fanzinat. On passe.
Heureusement, avec le contingent anglo-saxon, les choses sérieuses commencent. On côtoie enfin les sommets vertigineux d’une fiction spéculative renversante. « L’Observatrice » de Robert Charles Wilson et « La Finale » de Nancy Kress usent de concepts scientifiques ardus pour produire de l’émotion, de la réflexion, et déstabiliser le lecteur. On en redemande.
Bénéficiant d’un buzz favorable depuis la parution du premier volet du cycle de « QuanTika » (l’Atalante), Laurence Suhner se contente du minimum syndical. « La Chose du lac » s’avère une nouvelle sympathique et légère, au charme rétro indéniable. Quelque chose entre Agatha Christie et le mythe de Cthulhu avec des réminiscences d’Arsène Lupin. Ça se déguste tout seul, comme une menthe à l’eau dans une chaise longue, mais ne laisse guère de trace.
Puis vient la célébrité du festival 2012, Neil Gaiman. L’auteur britannique que l’on ne présente plus ne joue pas les divas avec « Et Pleurer, comme Alexandre », bien au contraire, il nous régale d’un court texte jouant de manière facétieuse avec le thème imposé. Chapeau l’artiste !
Avec Claude Ecken, on touche à nouveau au cœur de la SF hexagonale. Il faut reconnaître que l’auteur ne se montre pas avare en étrangeté, proposant ici un texte axé sur la mémoire (et son oubli) où la SF peut paraître cosmétique. La remarque doit être cependant nuancée, car sans l’argument science-fictif, « La Fin de Léthé » ne marcherait tout simplement pas. Un léger bémol quand même : le titre en dit trop.
La nouvelle suivante nous emmène de l’autre côté des Alpes. Vrai coup de cœur pour ma part, « Petite Excursion à l’endroit des atomes » se révèle une petite merveille. Le point de vue choisi par Tommaso Pincio, celui d’un enfant, tout en pudeur et naïveté, comble d’aise même le lecteur le plus rétif au genre. Dans une Italie future ravagée par une catastrophe nucléaire et toujours en proie à ses démons, l’auteur parvient à rendre beau l’indicible et l’horreur. On ressort ému de cette nouvelle en ayant un seul mot en tête : magnifique !
De leur côté, Xavier Mauméjean et Laurent Queyssi accouchent sans doute de la meilleure nouvelle francophone du recueil. On ne sait lequel des deux papas a imaginé cette histoire, mais l’alchimie entre eux fonctionne idéalement. Sur l’air du tout est écrit, « En attendant demain » est une bonne surprise, du genre faisant du bien.
Reste la pièce maîtresse de l’anthologie : l’hommage à Roland C. Wagner. C’est Ayerdhal qui s’y colle et, connaissant l’amitié liant les deux écrivains, on se doute qu’il ne sera pas transparent. « RCW » relève du pastiche. Ayerdhal se coule avec brio dans les codes des « Futurs mystères de Paris », empruntant à son créateur la gouaille, les tics verbaux et jusqu’aux jeux de mots laids. Pour qui ne connaît pas l’univers de Roland C. Wagner, ses marottes et prises de bec, voire les guerres picrocholines agitant périodiquement le fandom, notamment un certain fil M sur un forum bien connu, l’exercice de style peut paraître cryptique. Toutefois, il est mené jusqu’à son terme avec suffisamment de savoir-faire pour rester fun. Une qualité que n’aurait sans doute pas désavouée Roland C. Wagner lui-même.
Arrivé au terme de cette chronique, même si on n’a pas éprouvé l’ivresse attendue, on retiendra cependant cinq textes du sommaire. Ceux de Wilson, Kress, Gaiman, Pincio, Mauméjean & Queyssi. Une récolte somme toute moyenne, dans toutes les acceptions du terme.