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Les critiques de Bifrost

Utopiales 2014

Utopiales 2014

Dominique DOUAY, Laurent GENEFORT, Dmitry GLUKHOVSKY, Léo HENRY, K. W. JETER, Jean-Marc LIGNY, Sylvie MILLER, Philippe WARD, Michael MOORCOCK, Barbara SADOUL, Jo WALTON, Sylvie DENIS
ACTUSF
424pp - 15,00 €

Bifrost n° 78

Critique parue en avril 2015 dans Bifrost n° 78

Comme chaque année depuis quelque temps déjà, les éditions ActuSF publient l’anthologie officielle des Utopiales de Nantes. Cette édition 2014 est consacrée au thème des « intelligences », joliment introduit par une préface de Yannick Rumpala, et qui se voit traité (en principe, tout du moins…) par onze auteurs français et étrangers au travers d’une sélection de textes parfois anciens, parfois inédits.

Inévitablement ou presque, une anthologie de ce genre tend à se disperser : le thème est riche, susceptible de bien des approches plus ou moins pertinentes. Aussi trouve-t-on dans ce recueil un peu de tout, le pire comme le meilleur…

Autant évacuer d’emblée le pire. Incontestablement, la palme du ratage revient à Barbara Sadoul pour sa pièce de théâtre « Les Dracula anonymes », horriblement poussive et mal écrite. Cet hommage au thème du vampire dans ses diverses déclinaisons se veut sans doute burlesque, mais n’est que ridicule de bout en bout.

Un cran au-dessus, mais du côté des ratages également, on trouvera Laurent Genefort pour le très court (sans doute trop) « Chaperon », qui déçoit par son absence de récit véritable — on a plus l’impression de lire le résumé d’un essai qu’une nouvelle à proprement parler — et par ses extraterrestres bien trop humains. Même déception pour « L’Affaire du Bassin des Hivers » de Michael Moorcock, texte émaillé de références tant à sa propre œuvre (on y croise un mystérieux albinos armé d’une épée, la famille Von Bek, etc.) qu’à celle de nombreux autres auteurs ; ce policier multiversel précipité est laborieux et confus, malgré deux, trois gags amusants.

D’autres textes, plus réussis, laissent pourtant un brin perplexe. Relève sans doute de cette catégorie « L’Évangile selon Artyom » de Dmitry Glukhovsky, une lecture « autre » de Métro 2033 par son héros, qui manque de sens prise isolément. On mentionnera également ici « L’Esprit de la roche » de Jean-Marc Ligny, nouvelle très connotée hard science prenant place dans les « Chroniques des Nouveaux Mondes » ; quelques bonnes idées, oui, mais le traitement est un peu lourd, du fait tant du jargon omniprésent que d’une certaine niaiserie qui en prend le contrepied. Evoquons enfin dans cet ensemble « Le Court Roman de la momie » de Sylvie Denis : la nouvelle est saturée par une multitude d’idées, plus ou moins intéressantes, certes, fourmillement qui aurait pu — dû ? — lui valoir une meilleure appréciation, cependant, outre que son point de départ hautement improbable peut nuire à l’immersion dans le texte, cette dispersion a en définitive quelque chose d’un peu déconcertant — on passe du coq à l’âne en permanence, et on peut renâcler devant certains présupposés philosophiques qui imprègnent le propos.

« En sommeil », de Jo Walton, s’avère plus convaincant ; la nouvelle est peut-être trop courte, mais l’émotion comme le sens qui s’en dégagent emportent l’adhésion. Dominique Douay, avec « Pas de deux sur la planète des ombres », livre une nouvelle très old school, teintée de paranoïa forcément dickienne ; la chute est un peu brusque, mais ça se lit fort bien néanmoins. « Le Sage qui entre dans la paix », de Sylvie Miller & Philippe Ward, est comme de juste hors sujet, ce qui n’empêche pas cette nouvelle enquête de Lasser, détective des dieux, de figurer plutôt dans le haut du panier de la série ; en tout cas, même si c’est bourré de défauts, comme d’habitude, le résultat n’en est pas moins sympathique. Et puis il y a K.W. Jeter avec « Dernières Volontés », une nouvelle aussi drôle qu’émouvante sur un père mourant et ce que sa fille peut faire pour lui ; on n’est pas vraiment dans le thème supposé de l’anthologie, on n’est clairement pas dans l’Imaginaire, aussi ne peut-on s’empêcher de penser que la publication du présent texte dans cette anthologie relève un peu du coup de pub de la part d’ActuSF qui vient de rééditer l’excellent Dr. Adder, mais peu importe : un bon texte, assurément.

La plus grande réussite de cette anthologie, néanmoins, et de loin, c’est « Fe6 !! ou La Transfiguration de Bobby J. Fischer » de Léo Henry, très beau portrait du célèbre champion d’échecs ô combien excentrique, servi par une construction adroite et une jolie plume. Confirmation s’il en était besoin de l’immense talent de nouvelliste de l’auteur.

Une anthologie inégale, donc, mais cela n’a rien de surprenant. On y trouve à boire et à manger, le meilleur comme le pire, on l’a dit… ce qui en fait sans doute un état convaincant des littératures de l’Imaginaire.

Bertrand BONNET

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