Force est d’avouer qu’en Bifrosty, nous suivons Christophe Lambert d’assez près, notamment depuis la publication de La Brèche en 2005, l’un des premiers bouquins en collection adulte de cet auteur ayant débuté en secteur jeunesse, un roman qui nous avait pas mal emballé. Sauf qu’il faut bien avouer aussi que ses deux livres suivants, Zoulou Kingdom puis Le Commando des immortels, sans nous tomber des mains pour autant, nous avaient plutôt déçu. Aussi est-ce avec une impatience mâtinée de circonspection que fut accueilli ce Vegas Mytho.
Au cœur des fifties… Thomas Hanlon est un type désœuvré. Prof de littérature à l’université de New York, un boulot qu’il déteste, écrivain en devenir, alcoolo tendance Kerouac, la déglingue magnifique en moins, cynique avant l’heure et dégoûté d’à peu près tous les milieux, il se cherche sans être vraiment sûr de souhaiter se trouver… Ce qu’il trouve, en revanche, c’est Sophia Stamatis, une bombe atomique d’origine grecque, pourrie de pognon, fille d’un nabab piqué de cinéma patron de l’Olympic Winner, un casino monstre de Las Vegas, chef du clan des Stamatis et accessoirement… dieu. Le dieu des dieux, pour être précis. Zeus en personne. Ouais. Parce que la Sophia Stama-tis, en fait, son vrai nom c’est Athéna, déesse de la sagesse… ou de la guerre, c’est selon. Et ça tombe bien parce que la guerre est là, un conflit millénaire qui oppose les familles de dieux incarnés — depuis que les fidèles ont abandonnés les temples —, et plus particulièrement ici, à Las Vegas, les immortels grecs aux égyptiens à tête d’animaux… Autant dire qu’Hanlon, plongé au milieu de ce merdier (sans parler d’Hoover et de son FBI, de la maffia italienne ou encore de ce dingo d’Howard Hughes), devrait trouver de quoi nourrir son prochain roman…
A l’instar de Christophe Lambert dans le bouquin qui nous occupe, on s’abstiendra de tourner autour du pot : l’auteur signe ici rien moins que son meilleur livre, parvenant à conserver ses qualités de toujours — Lambert possède sans doute l’écriture la plus visuelle de toute la jeune génération d’écrivains de genre français — tout en gommant l’essentiel de ses défauts — des problèmes de rythme, de souffle qu’il peinait trouver, à maintenir, à réguler… Lambert réécrit Le Parrain à la sauce divine (ou super-héroïne, au choix), et ça fonctionne diablement, du début à la fin, une ambition qui, si elle se cantonne à vouloir divertir le lecteur, s’avère finalement assez couillue vue le caractère sacrément (si on peut dire !) balisé des contraintes scénaristiques choisies : de Neil Gaiman et son American gods multi primé (J’ai Lu) à la récente tétralogie de Rick Riordan Percy Jackson multi-vendue (Albin Michel coll. « Wiz »)… Le résultat est sec, nerveux, très hard-boiled, le tout inscrit dans des années 50 convaincantes, tant du point de vue de l’ambiance que des personnages y évoluant. On devinait depuis ses premiers textes que Christophe Lambert avait le potentiel d’un excellent « faiseur » (au sens d’artisan), il le prouve enfin ici à travers un livre maîtrisé de bout en bout, qui se lit d’une traite et avec une jubilation certaine. Ça n’a l’air de rien, mais c’est déjà énorme.
Vivement le prochain…