Morgane CAUSSARIEU
AU DIABLE VAUVERT
304pp - 17,00 €
Critique parue en janvier 2022 dans Bifrost n° 105
Rappelez-vous la fin des années 90 : les Pogs, C’est pas sorcier, les Minikeums sur France 3, les romans de R. L. Stine, etc. C’est dans cet environnement culturel qu’a grandi Morgane Caussarieu… ainsi que la protagoniste de son nouveau roman, Sacha Cazenave, dix ans (enfin, presque). Entouré par un père avare d’affection et un grand frère insupportable, ce garçon manqué a pour amis Jonathan, gamin couvé par sa mère, le rondouillard Brahim, et surtout un pitbull nommé Megazord. Dans leur patelin, Vieux-Boucau, petite station balnéaire des Landes, il ne se passe jamais rien. Ou presque : un jour, Jonathan disparaît, kidnappé par une mystérieuse femme à barbe. Lorsqu’on le retrouve, une semaine plus tard, il n’est plus tout à fait le même. Sacha apprécie ce Jonathan nouvelle formule, plus sauvage, plus intrépide, plus taiseux aussi. La mère du garçon, Marylou, qui arrondit ses fins de mois avec le Minitel rose, se rend bien compte qu’il y a autre chose : qui, ou quoi, a causé cette immense morsure sur le corps de son enfant ? Megazord ? Et d’où vient cette pilosité qui s’accroit de façon anarchique ? Et surtout, d’où sort cette vertèbre excédentaire au niveau du coccyx ?
Il y a bientôt dix ans, Morgane Caussarieu avait fait une entrée remarquée sur la scène littéraire avec Dans les veines, texte punk s’emparant avec brio de la figure du vampire. Une demi-douzaine de romans plus tard, la voilà qui revient avec un récit où plane l’ombre du loup-garou. Le haut-patronage de Stephen King est assumé (Ça et Cujo sont cités), et si la quatrième de couverture mentionne Stranger Things et « Chair de poule », c’est bien du côté de la série romanesque de R. L. Stine, autre référence intentionnelle, qu’il faut chercher la principale influence de Vertèbres, tant dans sa structure que ses personnages. Quoique ce serait un « Chair de poule » qui aurait bouffé du lion loup. Dans ce roman à deux voix – d’un côté, le journal intime de Sacha, de l’autre, la voix intérieure de Marylou qui s’adresse à elle à la seconde personne –, la créature mythique fournit la matière parfaite pour un questionnement sur le passage à l’adolescence, la métamorphose des corps, la sexualité naissante et la maternité. Pour peu que l’on suspende son incrédulité avec la convention littéraire voulant qu’un journal intime romanesque ressemble plus à un roman qu’à un véritable journal intime (ici, écrit par un enfant de dix ans), Vertèbres se dévore. Entre les récits entrecroisés de Sacha, gamine plus trouble qu’il n’y paraît, et de Marylou, pas exactement une mère modèle, le roman va croissant dans son inquiétude existentielle et l’horreur, pour un résultat qui frappe fort.