Laurence SUHNER
L'ATALANTE
512pp - 23,00 €
Critique parue en juillet 2012 dans Bifrost n° 67
Pour Mars, c’est raté ! L’homme a échoué à terraformer cette banlieue de la Terre. Heureusement, une nouvelle planète a été découverte : Gemma. Pas aussi proche : 6,5 années-lumière, plus de dix-sept ans de voyage. On n’y part pas en week-end, mais pour un aller simple. D’ailleurs, les conditions climatiques en font tout sauf un lieu de villégiature. Les températures sont constamment négatives : le blast y veille, ce vent terrible et glacial. Mais Gemma représente une opportunité toute fraiche pour les exploitants de matières premières qui se sont rués sur l’occasion. Elle est une chance, aussi, pour les scientifiques de tous poils. Car si autour de cette planète de glace tournent deux soleils, Alta et Mira, une autre présence veille sur l’étendue gelée : le Grand Arc. Gigantesque artefact extraterrestre, tel un vaisseau fantôme, il plane, faisant peser sur les habitants une menace sourde. Qui sont les Bâtisseurs, capables de créer un tel vaisseau, impénétrable ? Que sont-ils devenus ? Et quelle est cette force qui depuis peu détruit des convois, tue des hommes ? Sont-ce vraiment les enfants de Gemma, un groupe armé d’indépendantistes ? Ou quelque chose de plus terrifiant ? Enfin, quelles entités ont contacté à travers ses rêves la troublante Ambre Pasquier, docteur en exobiologie, lui indiquant où creuser la glace pour trouver les vestiges du Temple Noir ?
A toutes ces questions, Laurence Suhner commence à répondre dans Vestiges, premier tome de la trilogie Quantika, dont on peut dire qu’elle sera passionnante si elle tient ses promesses. Cependant, il faudra un peu de courage à l’initiative de cette lecture, tant l’auteure suisse prend son temps pour poser les personnages et le cadre : la première moitié des presque 600 pages y est consacrée. Mais elle a raison, finalement, et le lecteur est récompensé de sa patience. Car l’univers créé est riche, dense. Certains passages, proches de la hard science, donnent un côté réaliste à l’ensemble (même si, n’en doutons pas, quelques détails heurteront sans doute les spécialistes). De leur côté, les personnages sont nombreux, pensés, et, malgré une poignée de clichés dans leurs rapports, crédibles. Ambre Pasquier, agaçante au début à cause de sa froideur excessive, devient plus proche quand on découvre la source de ses réticences. De plus, ses origines hindoues colorent le récit et lui apportent une touche musicale entêtante. Kya Stanford, aussi, marque le roman de sa présence. Fille d’un scientifique lunaire à la recherche du point de Collapsus, cause des bouleversements actuels, elle est une jeune fille engagée, vive, au caractère entier. Quant à la figure de l’extraterrestre, elle s’impose au cours des chapitres, un peu hermétiques au début, le temps de se familiariser avec cette civilisation.
Car, à la différence du cycle de Rama d’Arthur C. Clarke, on est rapidement en contact avec les extraterrestres. Le mystère qui règne autour de ces êtres n’est pas le principal moteur de l’action. D’ailleurs, le prologue plonge le lecteur directement dans leur univers. Même si on ne découvre que très progressivement leur société, leur fonctionnement et même leur apparence. Laurence Suhner semble avant tout intéressée par le lien qui peut unir les deux races. Ou provoquer leur anéantissement : en effet, quel est le véritable dessein de la créature qui habite le Temple Noir ?
Lent à démarrer, Vestiges ne déçoit pas. L’intrigue, quand elle est lancée, est tellement intense et riche qu’on ne songe plus, alors, à lâcher cet ouvrage. On est plongé dans les entrailles de Gemma, et il est difficile d’abandonner la lecture avant la fin. Et d’attendre avec impatience la parution du deuxième tome, heureusement prévue pour l’été 2012. En espérant que Laurence Suhner saura garder le souffle nécessaire pour tenir sa promesse : faire rêver, encore, longtemps. Aucun doute. Avec ce premier roman, un auteur est né.