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Les critiques de Bifrost

Vie posthume d'Edward Markham

Vie posthume d'Edward Markham

Pierre CENDORS
TRIPODE (LE)
15,00 €

Bifrost n° 91

Critique parue en juillet 2018 dans Bifrost n° 91

Septième roman du Français Pierre Cen-dors, cette Vie posthume d’Edward Markham vient un peu plus creuser le fascinant sillon dessiné par l’écrivain avec Archives du vent (Le Tripode, 2015). Placé sous le patronage subtilement spectral d’Egon Storm — cinéaste hors-normes dont Archives du vent faisait son protagoniste —, ce nouveau récit étend à l’univers télévisuel la troublante relecture du cinéma à laquelle Pierre Cendors se livrait dans son roman précédent. Aussi ramassée que les vingt-cinq minutes d’un épisode de La Quatrième dimension, la centaine de pages que compte Vie posthume d’Edward Markham en réinvente l’ultime épisode. Écrit par un scénariste à succès du nom de Todd Traumer, ce récit conclusif de l’anthologie créée par Rod Serling met en scène un héros du nom de Damon Usher. Un patronyme évidemment emprunté à l’un des contes les plus fameux de Poe et qui, d’emblée, ombre de fantastique cet épisode apocryphe. Cette promesse de surnaturel se voit spectaculairement confirmée par l’argument du script intitulé Le Rapport de Usher. Usher est en effet un « visualiseur ». Soit un être aussi bien capable de voir à distance que de faire sien le regard de celles et ceux occupant des lieux lointains. Ayant un temps œuvré au sein d’une officine militaire et secrète usant des talents visionnaires de cinq visualiseurs, Usher en a pris congé après le traumatisant décès de l’une de ses collègues lors d’une mission. Prenant alors la route, sans but précis, Usher finit par arriver à Willoughby, une cité montagneuse et isolée de l’Ouest américain. Là se dresse le Galaxias Spectrum. Un radiotélescope géant grâce auquel l’on capte les ondes émises depuis le cosmos et au pied duquel s’installe bientôt Usher… Épousant d’une part la trame du scénario du Rapport de Usher, Vie posthume d’Edward Markham en narre d’autre part la singulière genèse — conçu dans la solitude de la Sierra Nevada, le scénario pourrait avoir coûté la vie à Traumer — ainsi que son troublant effet sur l’interprète de Usher, Edward Markham. Ce dernier se déclare en effet certain de l’existence réelle des visualiseurs, prétendant même avoir rencontré quelques-uns d’entre eux… La consonance lovecraftienne du nom donné par Pierre Cendors au comédien (une unique lettre sépare Markham de Arkham) aurait pu annoncer le récit d’un effondrement dans la folie. Mais en peignant un univers irrigué par la fiction, Vie posthume d’Edward Markham s’affirme en réalité comme un formidable éloge de celle-ci. C’est en effet en s’abandonnant à l’imaginaire que les protagonistes du roman accèdent à une forme supérieure de connaissance — qu’elle les concerne en propre ou qu’elle touche au monde dans lequel ils vivent. Servi par une écriture d’une fluide précision, ce récit tout en enchâssements développe une pensée complexe mais jamais obscure. Gageons qu’une fois la lecture de cette passionnante Vie posthume d’Edward Markham achevée, nombre de lecteurs et de lectrices pourront à leur tour mettre en pratique ce si précieux conseil offert par l’Imaginaire, ainsi qu’y invitent les ultimes mots — en anglais dans le texte — de cette abyssale novella : « Now, Ladies and Gentlemen, open your eyes. »

Pierre CHARREL

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