Pierre PEVEL
IMAGINAIRES SANS FRONTIÈRES
186pp - 12,00 €
Critique parue en octobre 2002 dans Bifrost n° 28
Whitechapel, Londres, 1891. Au cœur de ce quartier poisseux, infesté de misère et de violence, peuplé de bouges puants, d’ivrognes crasseux et de putains décaties, l’ombre de Jack l’éventreur refait surface. Trois ans après ses derniers crimes, une prostituée est retrouvée assassinée. À ses côtés, le crâne défoncé, gît un androïde, un policier...
Dans ce Londres revisité, où les calèches sont conduites par des automates et les borgnes disposent d’yeux biomécaniques, Lady Audrey Burton rend visite à Norman Latimer. Journaliste dans une feuille de chou populaire spécialisée dans la relation racoleuse des crimes les plus divers, la tâche que lui confie sa visiteuse ne manque pas de le surprendre : retrouver son frère disparu, avec pour tout indice une photo et la connaissance de son penchant pour les filles de joie.
Sur les traces de William Burton, Norman Latimer découvrira qu’il a été mis sur sa piste non par sa sœur mais par une parfaite inconnue, meurtres et fausses pistes s’accumuleront, Sherlock Holmes interviendra et les cadavres se volatiliseront au mépris de la raison...
Visiblement féru de mise en scène historique, Pierre Pevel nous offre une enquête policière certes solide mais dépourvue d’originalité. Les personnages manquent de profondeur et, mis à part quelques exceptions, les descriptions sont trop vite avortées pour que le lecteur s’imprègne pleinement des ambiances. Surtout et avant tout, bien que le dénouement surprenne et soit fort bien amené, qu’apporte-t-il réellement à l’histoire si ce n’est une certaine jouissance intellectuelle face à tant d’astuce et l’alibi nécessaire à l’auteur pour être publié dans une « collection de l’imaginaire » ?
On regrettera aussi que le monde a priori attrayant mis en place par Pierre Pevel, un Londres de la fin du XIXe siècle émaillé d’anachronismes technologiques, n’influe que peu sur le récit. Il paraît souvent plaqué sur l’histoire, n’orientant que rarement le comportement des héros de manière décisive. Bien que parfaitement cohérent, le côté science-fiction ne fait que se surajouter et complexifier la résolution de l’intrigue ; sa principale justification réside dans le caractère spectaculaire de la chute.
Pierre Pevel donne l’impression d’avoir voulu faire du steampunk sans tirer pleinement parti des potentialités du genre. Bref, si Viktoria 91 n’ennuie pas un instant grâce aux nombreuses péripéties et au suspense ménagé jusqu’aux dernières pages, on reste cependant sur sa faim du fait d’idées trop brièvement exploitées ou pas assez développées. Ecrit avec fluidité, rythmé, dépourvu de temps mort et nanti d’une intrigue astucieuse, Viktoria 91 se lit d’une traite, sur la plage, comme on y boit une kro bien fraîche : ça ne se déguste pas, ça ne nourrit pas, mais ça désaltère. Agréable, pas inoubliable.