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Les critiques de Bifrost

Vlast

Peter HIGGINS
BRAGELONNE
512pp - 20,00 €

Critique parue en juillet 2014 dans Bifrost n° 75

Salué par la critique outre-Manche, Vlast s’annonce comme une des deux locomotives de « L’Autre », nouvelle collection des éditions Bragelonne destinée à accueillir des ouvrages au carrefour des genres. Après la BCF, la science-fiction cœur de cible, le fantastique, la bit-lit et toute une ribambelle de titres en petites culottes, l’éditeur parisien s’apprête à exploiter le créneau des transfictions jadis arpenté par la collection « Interstices ». Une niche à laquelle, par un hasard du calendrier, les éditions Sonatine semblent aussi vouloir s’intéresser en donnant sa chance à un Fabrice Colin directeur éditorial avec « Super 8 » (ledit Colin qui avait déjà, en son temps, tenté l’expérience chez Points Seuil « Fantasy » avec un succès mitigé). Cela augure du meilleur pour la littérature qui rechigne à entrer dans les cases (et dans les bibliothèques des lecteurs). Reste à voir si la sélection tient toutes ses promesses…

Sur le papier, le synopsis du roman de Peter Higgins a le mérite d’intriguer. Il n’entretient hélas pas longtemps l’illusion. Dans une Russie soviétique qui ne dit pas son nom, dans un univers parallèle où les géants et d’autres créatures folkloriques côtoient les humains, où des entités non humaines sont tombées du ciel au cours d’une guerre extraterrestre, le Vlast étend son empire sur une bonne partie du continent, courbant sous le joug d’une dictature impitoyable une multitude de peuples. Engagée dans une guerre interminable contre l’Archipel, la fédération vacille pourtant, en proie au doute, à la pénurie et aux menaces de sédition fomentées par des groupuscules révolutionnaires.

Sur ce terreau rappelant à la fois l’histoire soviétique, quelque part entre les années 1930 et la Grande Guerre patriotique, la fantasy et le roman noir, Peter Higgins aurait pu broder un récit insolite. Il s’enferre dans un énième affrontement manichéen, où Bien et Mal sont convoqués, ici respectivement sous la forme d’entités élémentaires issues des mythes slaves et d’une intelligence extra-terrestre transformant les hommes en marionnettes. On n’échappe ainsi à aucun des poncifs inhérents aux différents genres auxquels l’auteur britannique s’abreuve. Des univers multiples puisés au sein de la science-fiction à la magie élémentaire de la fantasy, en passant par le flic désabusé par la corruption intrinsèque du système, il ne nous épargne rien, fusionnant les codes sans que l’on parvienne vraiment à adhérer à l’univers qu’il met en place. Certes, il faut lui reconnaître un certain talent pour dresser le portrait de Mirgorod, la ville du vice, bâtie sur les berges du delta du Mir au détriment de ses précédents habitants. La cité apparaît comme un personnage à part entière dont Higgins se complait à décrire les avenues froides balayées par les averses, les façades décrépites et les recoins sordides. Toutefois, le décor a toutes les apparences de la coquille creuse, hantée par une imagination réduite à la portion congrue. Les divers personnages sont transparents, dépourvus d’une vraie profondeur psychologique. L’intrigue passe-partout se contente d’égrainer mollement une succession de cliffhangers dont on finit par se désintéresser tant ils sont prévisibles et répétitifs.

Bref, Peter Higgins fait assaut de clichés pour accoucher d’un roman bancal, creux et terne. Le parfait remède contre l’envie de poursuivre l’aventure car, autre emprunt à la fantasy, Vlast s’avère le premier volet d’une trilogie dont le deuxième, au titre très orwel-lien de Truth and Fear, est d’ores et déjà disponible outre-Manche et dont le troisième, Radiant State, est annoncé pour 2015. Personnellement, je passerai mon tour.

Laurent LELEU

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