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Les critiques de Bifrost

Void Star

Void Star

Zachary MASON
HUGO ET COMPAGNIE
544pp - 22,50 €

Bifrost n° 93

Critique parue en janvier 2019 dans Bifrost n° 93

La science-fiction étant devenue la nouvelle frontière à conquérir pour de nombreux éditeurs, Hugo & Cie nous gratifie à son tour d’un label dédié au genre révéré par les lecteurs de Bifrost. Et on se dit, en découvrant le pitch de Void Star, l’un des deux titres inauguraux de « Nouveaux Mondes » (avec le très mauvais Armada, d’Ernest Cline), qu’il y a peut-être matière ici à ressusciter un post-cyberpunk bien orphelin. Hélas, si toutes les promesses ne sont certes pas déçues, le roman de Zachary Mason déroule une intrigue au final assez convenue, voire même plan-plan, comme on va le voir.

Futur proche. Le changement global a provoqué l’élévation du niveau des océans, engloutissant les côtes et une partie des mégapoles qui y prospéraient. Un déferlement de réfugiés climatiques a bouleversé la physionomie des villes survivantes. Des favelas ont poussé de manière anarchique, déployant les concrétions bétonnées de leurs alvéoles d’habitation sur les rares espaces libres. Par voie de conséquence, la ségrégation sociale et spatiale règne à tous les niveaux, sous le regard des drones armés. Tout cela pour le plus grand bonheur des plus favorisés, sans cesse en quête d’une jeunesse éternelle, garantie par les cliniques de rejuvénation, mais aussi pour le plus grand malheur des miséreux, condamnés à vivre d’expédients. Dans ce monde chaotique, en proie au recul des États et aux guerres, Irina a su creuser sa niche, usant de son implant cérébral pour servir d’intermédiaire entre ses clients fortunés et leurs IA dysfonctionnelles. De son côté, Kern s’est taillé une réputation de petite frappe dans les favelas de Los Angeles où il survit. À force de discipline, mais non sans intelligence, il s’est peu à peu élevé dans la hiérarchie des gangs. Quant à Thales, victime collatérale de l’attentat ayant entraîné la mort de son père, il se remet difficilement de ses blessures, l’esprit petit à petit réduit en charpie par le dysfonctionnement de la puce expérimentale implantée dans son crâne. De contrats mirobolants en quiproquos, le destin du trio se retrouve inextricablement lié.

Void Star recèle de chouettes idées, un faisceau de spéculations aussi brillantes que stimulantes autour des neurosciences et de l’interaction entre l’homme et la machine. Expert en intelligence artificielle, Zachary Mason met son savoir à contribution pour s’interroger sur l’émergence de consciences numériques rendues de plus en plus étrangères à l’esprit humain par leur complexité extrême. L’écriture de l’auteur, très bien restituée par la traduction, dévoile des fulgurances visuelles puissantes, conférant au récit une atmosphère dense, propice à l’immersion. Malheureusement, les longueurs, des temps morts interminables où l’on tourne les pages sans enthousiasme, plombent un tantinet la progression dramatique. À cela, il convient d’ajouter une narration au tempo haché, thriller oblige, où l’ennui finit par se substituer au suspense. Mais surtout, le roman pâtit d’un déséquilibre fâcheux entre les personnages. À côté de Kern, sans doute le caractère le plus intéressant du récit, Irina et Thales déçoivent par leur traitement terne, ne suscitant guère l’empathie. Thales apparaît d’ailleurs complètement superflu, en dépit du twist téléphoné dont il fait l’objet.

Bref, on ressort de Void Star avec un sentiment mitigé, où l’intérêt pour le post-cyberpunk se mêle à la déception. L’impression d’avoir lu un récit dont l’horizon d’attente miroite dans le lointain, comme un mirage, avant de s’évanouir. Dommage.

Laurent LELEU

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