Fleur HOPKINS-LOFÉRON
CHAMP VALLON
396pp - 25,00 €
Critique parue en janvier 2024 dans Bifrost n° 113
Apparemment, il ne se passe pas un trimestre sans qu’un nouvel événement ou un nouveau livre ne remette en lumière le mouvement dit merveilleux-scientifique. Voir l’invisible est à la fois un livre et un événement.
Fruit d’une thèse en histoire de l’art, il s’agit d’une tentative, totalement réussie, pour définir le merveilleux-scientifique à partir de ses sources visuelles. Bref rappel : théorisé par Maurice Renard (1875-1939), qui en fut le principal représentant et le plus ardent défenseur, le merveilleux-scientifique (MS) se voulait une tentative de renouveler le merveilleux féerique en substituant la science aux fées, la blouse blanche à la baguette magique. Né au tournant du xxe siècle, il s’inspirait de certaines découvertes qui bouleversaient la science d’alors, la plupart dans le domaine de l’optique : rayons X, perfectionnement du microscope, etc. Allait-il être possible d’explorer l’intérieur du corps humain, voire de l’âme humaine ? Les prétentions du spiritisme et du fakirisme reposaient-elles sur des données objectives, susceptibles d’être mesurées ?
S’appuyant sur une documentation en grande partie invisible, car ne faisant pas le plus souvent l’objet d’un dépôt à la Bibliothèque nationale de France – affiches, pavés de presse, prospectus pour attractions foraines –, mais ayant bénéficié du concours d’illustres collectionneurs de « documentation », au premier rang desquels figurait son mentor, le regretté Joseph Altairac, Fleur Hopkins-Loféron dresse des ponts entre traces visuelles et œuvres littéraires, avec une rigueur et une exhaustivité qui forcent l’admiration.
Ce livre apparaît ainsi comme un guide de voyage indispensable à l’aventurier qui souhaite explorer ce que l’autrice appelle « une nouvelle Atlantide », un domaine longtemps oublié, pour des raisons multiples et complexes, mais qui fait indéniablement partie de l’histoire de la SF française.
Pourquoi le MS a-t-il disparu dans les limbes du temps ? Outre les multiples raisons exposées dans le texte, j’en vois une qui me paraît prégnante : Renard est resté fixé sur la science du début du xxe siècle, ignorant, contrairement à un Rosny aîné, les développements ultérieurs de la physique et les spéculations sur l’astronautique (terme forgé par l’auteur des Navigateurs de l’infini). Les écrivains qui l’ont suivi – Régis Messac (1893-1945), Jacques Spitz (1896-1963), dont L’Œil du purgatoire peut être considéré comme l’acmé de l’introspection MS, René Barjavel (1911-1985) et B. R. Bruss (1895-1980) ont su élargir les thèmes du genre bien avant l’introduction en force de la SF américaine.
Chaudement recommandé aux esprits aventureux, en espérant qu’ils ramènent des trésors de leurs explorations.