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Les critiques de Bifrost

Voisins d'ailleurs

Voisins d'ailleurs

Clifford Donald SIMAK
LE BÉLIAL'
320pp - 22,00 €

Bifrost n° 55

Critique parue en juillet 2009 dans Bifrost n° 55

Pour qui lisait déjà de la science-fiction au siècle dernier, voir paraître aujourd'hui un « nouveau » Simak constitue une surprise aussi inattendue qu'agréable. Plus de vingt ans après la disparition de l'auteur, on ne peut que se réjouir du fait qu'un éditeur continue de s'intéresser à son œuvre si particulière et parvienne encore à y dénicher quelques perles peu ou pas connues.

Nouveau, Voisins d'ailleurs l'est en bonne partie. Des neufs nouvelles figurant à son sommaire, quatre sont inédites, et les cinq autres étaient jusqu'alors seulement disponibles en revues, parfois dans des traductions peu recommandables (je pense en particulier à « La Maternelle », dont la version parue il y a plus d'un demi-siècle dans Galaxie n'entretient qu'un rapport assez lointain avec le texte d'origine). Les récits sélectionnés par Pierre-Paul Durastanti appartiennent à deux époques différentes de la carrière de l'auteur. Cinq d'entre eux ont été publiés entre 1953 et 1961, lorsque Simak était à l'apogée de sa carrière de nouvelliste. Les autres, parus en 1974 et 1980, datent d'une période où l'écrivain a délaissé la forme courte au profit du roman.

« La Maternelle », qui ouvre ce recueil, constitue l'archétype de la nouvelle simakienne : un décor champêtre omniprésent, commun à nombre de ses œuvres, version idéalisée de son Wisconsin natal ; un vieil homme solitaire, menant une vie paisible, faite de contemplation et de rituels routiniers ; et puis soudain, entre un prunier en fleurs et une étable abandonnée, un objet incongru, tombé d'on ne sait où, et offrant aux promeneurs les cadeaux de leurs rêves. À partir de cette découverte, Simak déroule méthodiquement le fil de son récit, observant non sans amusement les réactions provoquées par l'irruption de cette machine, jusqu'à la révélation finale de sa véritable nature.

Lorsqu'on évoque Simak, on insiste le plus souvent — et à juste titre — sur ses origines. Mais il est l'homme de deux mondes : l'un rural, presque archaïque, survivance d'une Amérique d'un autre âge, la ferme familiale où il a grandi ; l'autre urbain, moderne, la ville de Minneapolis où il a mené l'essentiel de sa carrière journalistique. Son œuvre toute entière est empreinte de cette dualité, à la fois nostalgique d'un mode de vie en voie de disparition et en prise directe sur l'évolution de la société américaine. Et lorsque ces deux univers se rencontrent, ce n'est pas toujours sans heurts, qu'il s'agisse des innombrables curieux attirés par la machine de « La Maternelle » ou du journaliste menaçant de révéler le secret de Coon Valley dans « Le Voisin ».

Le plus souvent toutefois, Simak évite d'opposer frontalement ces deux mondes. Son propos n'est pas de faire l'apologie de l'un au détriment de l'autre. Plus subtilement, le décor familier, presque hors du temps, où il situe nombre de ses histoires, constitue pour lui le socle idéal d'où il peut observer ses contemporains, s'interroger sur leurs valeurs, leur mode de vie. Ici, la nature invite l'homme à s'appuyer sur « la solidité des choses terrestres » pour aborder le monde d'un point de vue différent. C'est sans doute ce qui en fait aussi pour les extraterrestres l'endroit parfait où poser leur soucoupe, qu'ils souhaitent établir un premier contact avec l'humanité ou simplement y couler des jours paisibles.

Même lorsqu'il nous embarque pour une planète lointaine dans « Un Van Gogh de l'ère spatiale », Simak opte pour un cadre rural, peuplé de créatures bienveillantes, qui lui permet à travers le destin d'un artiste étranger à ce monde de développer une réflexion passionnante sur la rivalité opposant la foi à la raison, prolongeant ainsi un questionnement permanent dans son œuvre sur la nature de l'homme et son parcours.

Evidemment, à force d'utiliser sans cesse les mêmes thèmes, il lui arrive parfois de se répéter. C'est le cas pour « Le Bidule », la nouvelle la plus faible du recueil, qui ne fait qu'effleurer une idée qu'il a développé de manière plus convaincante dans d'autres textes. Mais le plus souvent l'effet de répétition n'est en rien gênant. Au contraire, il structure la pensée de l'auteur, et offre au lecteur le même cadre confortable dont bénéficient ses personnages.

Les quatre textes écrits dans les années 70 marquent une évolution dans le style de Simak. Les thèmes abordés sont plus variés, leur construction parfois plus alambiquée. À soixante-dix passés, Simak s'amuse à se frotter à des genres qu'il avait peu abordés jusque-là, comme dans « Le Puits siffleur », récit horrifique tout à fait inattendu de sa part. On retrouve souvent le décor familier de ses nouvelles antérieures, mais il prend alors soin de tirer son histoire dans une direction inattendue (la pirouette finale de « Le Cylindre dans le bosquet de bouleaux ») ou de brouiller les pistes en entremêlant divers éléments (« La Photographie de Marathon », où l'on croise voyageurs temporels, artefact extraterrestre et images surgies du passé). De ces quatre nouvelles, la plus réussie est sans conteste « La Grotte des cerfs qui dansent », vainqueur en son temps des prix Hugo et Nebula. Une histoire simple et élégante, mettant en scène un personnage on ne peut plus simakien, témoin discret mais privilégié de l'histoire de l'humanité.

Que vous soyez fan de Simak de longue date, ou que vous souhaitiez vous initier à son œuvre, Voisins d'Ailleurs constitue une lecture indispensable.

Philippe BOULIER

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