Connexion

Les critiques de Bifrost

Volodine

Antoine VOLODINE
DENOËL
800pp - 27,40 €

Critique parue en janvier 2004 dans Bifrost n° 33

Cet omnibus regroupe les quatre premiers romans de l'auteur, originellement publiés entre 1985 et 1988 dans la collection « Présence du Futur » des éditions Denoël (n° 397, 413, 430 et 454). Depuis cette date, Antoine Volodine a écrit neuf autres romans au sein de collections non S-F : Minuit, Seuil (« Fiction & Cie »), Gallimard (coll. « Blanche »). D'aucun se poseront alors la question suivante : quel type de littérature écrit cet auteur ? De la S-F, de la littérature générale ou bien autre chose ? Laissons Volodine répondre à cette question : « J'affirme mon droit à la différence, le droit d'explorer comme je l'entends un petit territoire d'exil, loin des écoles, loin des académismes marchands, loin de tout. Baptisons post-exotique la production littéraire issue de ce territoire des bas-côtés. (…) Voilà où se situent mes ouvrages : tantôt dans le fantastique post-exotique, tantôt dans le post-exotisme ordinaire. »

Les narrateurs du post-exotisme, les personnages de tous les romans d'Antoine Volodine ou ceux de Yasar Tarchalski, pour citer l'un de ses avatars, puisent leur inspiration dans les innombrables atrocités qui peuplent le siècle passé. « Ils racontent les guerres, les souffrances, les exterminations, les totalitarismes, les ratages, depuis leur prison, depuis leur mort, depuis des mondes imaginaires et parallèles », tel le jeune Moldscher de Rituel du mépris, extraterrestre capturé et torturé par des humains à qui il se contente de raconter sa petite enfance : comment il a appris à absorber les âmes et à transformer la réalité pour fuir la douleur, ce qu'il fait en ce moment même en imaginant une invasion extraterrestre qui prend ses bourreaux à leur propre piège… Ou l'extraterrestre de Biographie comparée de Jorian Murgrave, que les humains torturent avec délectation mais sans succès jusqu'au jour où ils décident d'aller le traquer dans ses propres rêves. Mais c'est aussi le cas de Breughel dans Le Port intérieur, dissident planqué à Macao, débusqué et torturé, à qui on inflige les plus viles souffrances pour qu'il avoue où se cache Gloria Vancouver, une dangereuse dissidente devenue folle et dont il est éperdument amoureux, ou d'Enzo Mardirossian, Rita Arsenal, Gina Longfellow, Gloria Tatko, Maleeka Bayarlag et les quarante-quatre autres auteurs des narats qui composent Des Anges mineurs. Qu'ils soient extraterrestres, militaires ou écrivains ne change rien. C'est la souffrance qui domine et qui les domine, même si, comme le rappelle Yasar Tarchalski, tout cela n'est peut-être que le reflet d'une mauvaise période et que la fraternité cessera un jour d'être un mot vide. C'est aussi cet espoir qui illumine les paysages intérieurs d'Antoine Volodine.

Des quatre romans post-exotiques ici réunis, Un Navire de nulle part est le plus ouvertement « S-F ». À conseiller donc comme première lecture pour les plus frileux découvreurs de cet auteur. Des Enfers fabuleux est, quant à lui, le plus abouti mais aussi le plus complexe. À réserver aux amateurs de jongleries mémorielles, de « produits Ubik » et autres manuscrits trouvés à Saragosse. Le thème de la souffrance, cher à l'auteur, y est porté par un style admirable, scalpel étincelant qui a le pouvoir de mettre les sensations et les sentiments à nu : inutile d'être mutant, radicalement différent et donc rejeté pour souffrir. Il n'y a pas forcément que des saints dans les opprimés. Et les mutants, parias, pourchassés causent à leur tour la souffrance en contraignant les épaves tel que Zaïn à rêver, à voyager dans la douleur pendant des milliers d'années. La souffrance est inéluctable et le rêve ne permet finalement qu'une chose : celui de la partager. Antoine Volodine est, sans conteste, un auteur hors norme. Ce qui ne l'a pas empêché d'obtenir en 1987 le Grand Prix de la Science-Fiction Française pour son roman Rituel du mépris. Difficile à imaginer aujourd'hui, en ces temps de consensus mou, où le néo-classicisme fait presque figure d'avant-garde face au charme rétro des fantaisies de tout poil. Mais si votre soif de curiosité l'emporte sur la crainte de brûler quelques plumes, alors n'hésitez plus à plonger dans ces enfers fabuleux pour y découvrir un auteur essentiel des littératures du temps présent.

Jacques BARBÉRI

Ça vient de paraître

Les Armées de ceux que j'aime

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
PayPlug