S’inscrivant dans l’univers déjà dessiné par Anamnèse de Lady Star, le science-fictionnel Vostok projette ses lecteurs et lectrices dans un futur aussi proche que sombre : se déroulant au mitan du XXIe siècle, il participe de la même géopolitique du chaos que celle campée par Anamnèse de Lady Star. Dans le Chili où débute Vostok, le gouvernement est réduit au rôle de supplétif dans la lutte opposant sur son territoire le Cartel et la Fédération andine. Cette dernière est une déclinaison futuriste des guérillas sud-américaines contemporaines. Les Andins fondent leur redoutable pouvoir sur un terrorisme high-tech combinant, entre autres innovations, d’énormes drones bombardiers et le « Vault, un système de communication décentralisé, sécurisé, présent dans le monde entier ». Quant au Cartel, il constitue une version pareillement upgradée des mafias actuelles. Tenant plus de la firme transnationale que du syndicat du crime, il tire lui aussi sa puissance inédite de sa maîtrise des avancées technologiques imaginées avec soin par Laurent Kloetzer. C’est donc en toute logique que l’espace numérique forme un champ de bataille essentiel dans la guerre entre ces révolutionnaires et ces truands 3.0. Juan Albornoz – un jeune mais déjà très redouté lieutenant du Cartel – s’efforce ainsi d’obtenir le code d’accès au Vault des Andins pour en prendre le contrôle. Une entreprise qui emmène ce caïd des antipodes encore un peu plus loin au sud. Puisqu’il doit chercher la clef informatique du darknet de la Fédération en Antarctique – une contrée déjà parcourue par quelques grands de l’Imaginaire tels Edgar Allan Poe, Jules Verne, Howard Phillips Lovecraft, René Barjavel ou plus récemment Alan Moore… Là-bas se trouve Vostok, un complexe scientifique russe déserté de longue date. La base repose sur trois mille mètres de glace sous lesquels se tapit un lac souterrain, recélant lui-même une bactérie unique au monde. Le code génétique de l’organisme endémique a inspiré à Veronika Lipenkova – une ex-chercheuse de Vostok ralliée à la Fédération andine – le mot de passe du Vault. Or la Russe a emporté dans la mort la formule du génome bactérien, contraignant le truand chilien à aller la récupérer à Vostok même. Mais rien ne se passe comme prévu après que Juan et son équipe ont rallié ces extrêmes confins du monde… Le techno-thriller futuriste qu’est d’abord Vostok se mue dès lors en survival polaire dont la tension paranoïaque fait irrésistiblement écho à celle de The Thing, le maître-film de John Carpenter. D’une forte rigueur descriptive quand elle évoque l’emprise destructrice de machines nouvelles sur Valaparaiso, l’écriture de Laurent Kloetzer dépeint avec une identique précision les corps et les psychés de ses personnages prisonniers du désert austral. Le romancier s’attache plus particulièrement aux sensations de Leo, la jeune sœur de Juan, en réalité l’héroïne de Vostok. L’homme du Cartel l’a emmenée en Antarctique en guise de « porte-bonheur ». Heureuse intuition. Seule Leo s’avère à même de percer les nombreux mystères de Vostok. Le Vault et la bactérie polaire ne forment, en effet, que le sommet immédiatement visible de l’énigmatique iceberg science-fictionnel dessiné par Laurent Kloetzer avec Vostok. Épaulée dans sa quête par un « Ghost » – une entité virtuelle aux formes humanoïdes, capable de lire dans le passé –, l’adolescente se transforme peu à peu en une manière de chamane cyberpunk. Son talent visionnaire se déploiera pleinement lors d’un trip à la fois magique et numérique, constituant l’acmé littéraire de Vostok. Devenant elliptique, adoptant une temporalité éclatée, la narration de Laurent Kloetzer restitue alors avec une force incantatoire certaine le voyage mental de Leo au-delà des apparences glacées de Vostok. Les vérités mises à jour par la (super)héroïne du roman dépasseront de très loin le seul cadre de l’aventure criminelle initiée par Juan. Devenue une femme puissante – Vostok est aussi, et à sa singulière manière, un récit de formation et d’empowerment –, Leo tirera notamment de son extraordinaire expérience de quoi redonner l’espoir à une humanité en proie à la pandémie apocalyptique évoquée dans Anamnèse de Lady Star… Riche d’une séduisante générosité générique, Vostok s’ouvre sous les auspices du polar et de la hard-science pour se clore de manière mystique et hallucinatoire. Un roman qui aurait pu aussi s’intituler 2051, l’Odyssée de la glace…