Si les modules de Réalité Virtuelle récréatifs les plus populaires sont ceux mettant en scène des guerres de gangs dans des villes post-apocalyptiques, quand les usagers commencent à mourir sous le casque au moment même où leur arrivent des malheurs dans le virtuel, il y a quelque chose qui cloche. Et de quoi motiver l'intervention de la police.
L'inspectrice Konstantin enquête sur le meurtre de Tomoyuki Iguchi, un jeune homme retrouvé la gorge tranchée dans le club de RV duquel il se connectait à Noo Yawk Sitty post-apocalyptique. Elle doit faire face à une patronne de club peu encline à coopérer avec les forces de l'ordre, à des employés frustrés, et à des clients qui éprouvent pour la virtualité une loyauté à la mesure de leur échec dans la réalité ordinaire. Pendant ce temps, Yuki, une jeune femme d'origine japonaise, recherche désespérément le même « Tom » Iguchi, qui n'a plus donné signe de vie après être entré en contact avec une femme à la réputation de caïd du milieu, Joy Fowler.
Chacune des moitiés de ce court roman pourrait constituer une longue nouvelle (et celle qui met en scène Konstantin a déjà été publiée en 1995 dans Omni On Line sous le titre « Death in the Promised Land », avec un dénouement quelque peu différent). Le résultat global est enlevé, moins ambitieux peut-être mais beaucoup plus lisible que Les Synthérétiques. Surtout, la virtualité y est vue avec beaucoup d'humour, sans doute parce que vue par les yeux de Konstantin, novice en matière de RV. Elle y accumule les bévues — souvent sans gravité — et s'indigne du commercialisme rapace et du légalisme hypocrite qu'on y rencontre sans cesse. Quant aux aficionados de la RV, ils paraissent aussi obsédés et ridicules que, disons, des fans de SF ! (du moins dans l'image la moins favorables qu'on peut s'en faire).
Un fantôme plein de dignité plane cependant sur ce livre, celui du Japon, englouti bien avant dans une catastrophe jamais détaillée. Le pays ne vit plus que dans les cœurs de ses enfants dispersés dans le monde, qui sont passionnés par sa culture sans toujours bien la comprendre. On pourrait prendre cela comme une touche d'ironie de plus, un regard biaisé sur la fascination japonaise des fondateurs du cyberpunk qu'ont été William Gibson et Bruce Sterling ; mais ce Japon virtuel sait exercer une véritable fascination, susciter de véritables émotions.
On peut comparer ce livre au Dixième Cercle de Guy Thuillier : celui de Cadigan est l'œuvre d'une auteur infiniment plus expérimentée, voire blasée ; ses personnages ne remettent pas en question la structure de leur univers, restent au niveau de l'anecdote, mais brillamment exécutée, pleine de petites trouvailles, et sans cesse prenante. Comme un très bon roman policier.