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Les critiques de Bifrost

Voyage au bout de l'esprit

Voyage au bout de l'esprit

Robert SILVERBERG
OMNIBUS
904pp - 22,40 €

Bifrost n° 8

Critique parue en mai 1998 dans Bifrost n° 8

Ce second recueil de romans et nouvelles de Silverberg chez Omnibus contient deux de ses chefs d'œuvre absolus, Le Livre des crânes et L'Oreille interne,qui adopte pour sa nouvelle traduction le titre original, Dying Inside. Les deux autres romans que sont Le Temps des changements et L'Homme programmé figurent parmi les livres majeurs de l'auteur. Quant aux huit nouvelles qui suivent, elles prouvent s'il en était encore besoin l'étendue du talent de Silverberg. Le plus étonnant est que les deux chefs d'œuvre cités ainsi que trois des nouvelles ont été écrits la même année, en 1972, et que tous les autres textes le furent entre 1971 et 1974 (ainsi que nombre des textes inclus dans le premier « Omnibus »).

De cette période féconde, on retient la similitude des thèmes, traitant de l'esprit comme l'indique le titre du recueil, mais aussi de spiritualité et de l'immortalité, et la façon dont Silverberg les décline inlassablement en les abordant sous divers angles. L'esprit est souvent considéré comme une prison. Nos manières de penser induisent des comportements qui peuvent être des chaînes : l'interdiction de s'exprimer à la première personne comme de parler de soi crée une civilisation handicapée sur le plan émotionnel dans Le Temps des changements où le narrateur constate que la pudeur qui consiste à ne pas se livrer empêche également de se connaître. C'est par contre au bout de la connaissance de soi que se rendent les quatre protagonistes du Livre des crânes, à la recherche de l'immortalité qui les attend au bout de leur quête, s'ils parviennent à contempler leur visage en face, l'échec signifiant la mort. Comme dans toute quête, la connaissance n'était pas tant délivrée au final qu'au cours du trajet. Il en va de même dans la nouvelle « Né avec les morts » où Klein, désespérément amoureux de Sybille, tente de la ramener parmi les vivants.

Il est question de connaissance aussi pour Sélig, le télépathe de Dying Inside, qui s'inquiète de voir disparaître progressivement son pouvoir qui, pourtant, est à l'origine de ce qu'il considère comme sa malédiction. À cause de lui, il ne se connaît pas plus que le narrateur du Temps des changements. Quand son pouvoir a disparu, identique à un nouveau-né, il va devoir apprendre à connaître les gens à partir de leur attitude, à entendre ce qu'ils disent entre leurs phrases…

Il est curieux de constater qu'un supplément de pouvoir, chez Silverberg, aliène l'homme plus qu'il ne l'enrichit. Ainsi Lissa, dans L'homme programmé, se perd dans les multiples voix qu'elle entend dans sa tête. Face à elle, l'affrontement des esprits prend un tour plus dramatique : Hamlin, condamné à la réhabilitation, est effacé pour que son corps puisse abriter une autre identité : malheureusement, son esprit est toujours présent et l'hôte qu'on a installé, Macy, est une personne artificielle et qui l'ignore. Alors qu'il considère son ancienne conquête, Lissa, comme un monstre, un vampire, Macy au contraire la trouve fragile et sans défense au point d'en tomber amoureux. Quelle est la vraie Lissa ? Peut-être les deux ou encore une option intermédiaire ?

Les deux protagonistes de « (MOI + n) (MOI — n) », l'homme qui a le don de correspondre avec son moi en avance dans le temps et son moi dans le passé (ce qui lui permet d'effectuer de fructueux bénéfices boursiers) et la femme qui oscille perpétuellement dans le temps, disparaissant un siècle ou une semaine dans l'avenir, ne peuvent, eux aussi, vivre leur amour que s'ils renoncent à leur pouvoir : l'amulette qui stabilise la femme annule en effet son don.

À l'inverse, une ablation ajoute de l'humanité : dans « La Maison des doubles esprits », on a séparé les cerveaux droit et gauche des enfants qui se découvrent ainsi de nouvelles dispositions et acquièrent un supplément d'âme.

D'autres nouvelles, au ton plaisant comme « Ce qu'il y avait dans le journal ce matin » (encore une histoire temporelle), ou plus cynique comme « Quand nous sommes allés voir la fin du monde », parsèment ce recueil plutôt homogène et qui s'orne de surcroît d'une excellente préface de Goimard englobant, autour de la mythologie et des thèmes précités, d'autres œuvres de l'auteur.

Ne serait-ce que pour ces préfaces éclairantes, la collection des « Omnibus » (van Vogt, Dick, Asimov…) méritent de figurer dans la bibliothèque de l'amateur de Science-Fiction.

Claude ECKEN

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