Jean-Jacques Régnier n’a pas été un auteur prolifique puisque l’intégrale de ses fictions tient dans cet unique volume et qu’il ne laisse aucun roman. Ce qui n’en fait pas moins un auteur intéressant et fort surprenant. Il a certes produit davantage d’articles et d’essais théoriques, entre autres dans le bulletin du groupe Remparts (atelier d’écriture et de réflexions fameux au sein du fandom SF), dont il fut le rédacteur de longues années, jusqu’à sa disparition. Il fut essentiellement un écrivain du XXIe siècle, ne publiant sa première fiction qu’à l’approche de la cinquantaine. Son œuvre restera marquée par deux thèmes de prédilection : le temps et l’histoire, et donc l’uchronie.
Si beaucoup d’auteurs produisent des textes humoristiques, peu peuvent prétendre au titre d’humoriste de la SF ; Jean-Jacques Régnier est du nombre, au côté des Fredric Brown, Robert Sheckley ou John T. Sladek. Et si son premier texte, « Menuetto da capo al fine » (1994), n’est cependant pas encore humoristique, on y découvre une autre des idiosyncrasies de l’auteur : l’utilisation d’une vaste culture, notamment artistique — mais pas que —, pour conférer à son propos des saveurs rares. L’uchronie est un genre plutôt sérieux, où l’on spécule sur ce que serait devenu le monde si les grands événements avaient été autres. Régnier envisage, lui, des micro-uchronies, voire des auto-uchronies où c’est sa propre vie qui a divergé de ce que l’on en connait (ainsi « Le Sujet », qui ouvre le recueil, ou encore « Je hais les rédacteurs », critique d’un roman de l’auteur qu’il n’a pas écrit dans sa jeunesse). « Bergerac 2021 », uchronie sur les conventions de SF, ravira sans nul doute le cœur du milieu, mais nécessiterait une postface pour le grand public. Il revisite les poncifs du genre avec « Dis, grand-mère !», et avec « Immortalité », c’est celle des académiciens du quai Conti qui est mise à rude épreuve par le clonage. « Où sont passés nos futurs ? » s’attaque aux univers parallèles ; « Force de vente » est le discours d’un commercial à un client dont il ne reste que le monologue du vendeur, tout ce que dit le client passant sous ellipse…
Cette intégrale de l’œuvre fictionnelle de Jean-Jacques Régnier révèle un auteur d’une originalité en tous points étonnante. Les amateurs de SF traditionnelle n’y trouveront pas forcément leur compte, mais les afficionados de l’uchronie seront servis à souhait, quand bien même ces dernières ne sont pas de facture standard et ne portent guère, en général, sur la Grande Histoire, mais davantage sur des événements mineurs où l’auteur est souvent partie prenante, le tout teinté d’un humour assez sheckleyen. Une œuvre qui satisfera aussi les thuriféraires d’une écriture de qualité appréciant de voir la SF jouer à fleuret moucheté avec cette littérature qu’on dit « générale ». Régnier n’écrit jamais pour rien, ni pour le pur divertissement, toute sa production est traversée d’un réel propos. Un auteur à découvrir, en somme, et tant pis si c’est à titre posthume, porté par un micro-éditeur, Blogger de Loire (https:// bloggerdeloire.blogspot.com) qui fait ici œuvre plus qu’utile.