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Les critiques de Bifrost

Vues des rives

Yves LETORT
LE VISAGE VERT
214pp - 15,00 €

Critique parue en octobre 2024 dans Bifrost n° 116

[ Ce billet porte sur Vues des rives et Fins de siècle ]

Actualité chargée en ce printemps 2024 pour Yves Letort, avec la parution de deux recueils. Commençons par le second : Vues des rives nous emmène du côté du Fleuve, un univers déjà arpenté par l’auteur dans un premier recueil, Le Fleuve, justement, et dans un roman, Le Fort (cf. critique in Bifrost n°96). Dans sa préface, Mikaël Lugan insiste : oui, il est tentant de voir dans le monde mis en place par Yves Letort les influences de Julien Gracq (Le Rivage des Syrtes), Dino Buzzati (Le Désert des Tartares), Jacques Abeille (le « cycle des Contrées »), voir Yves & Ada Rémy (Les Soldats de la mer). Néanmoins, les récits s’articulant autour du Fleuve possèdent leur propre singularité — une ambiance floue, languide et volontiers humide, tout semblant possible sur les rives de ce cours d’eau innommé à la longueur inconnue. Tout juste grapille-t-on çà et là quelques vagues repères géographiques et temporels, mais ce n’est pas Vues des rives qui viendra élucider les mystères. Les récits ici rassemblés se placent à différents moments, différents endroits du Fleuve. D’un texte l’autre, on passe de la pochade d’une paire de pages à la nouvelle longue d’une vingtaine, y suivant le test d’un étrange pyroscaphe, les derniers jours d’un cartographe dans une zone de guerre où la réalité se délite, les aventures d’une géante navigatrice, apprenant pourquoi la Grande Encyclopédie du Fleuve n’a jamais eu le succès attendu. Si la longueur des textes est variable, il en va de même pour l’intérêt, mais l’ensemble dessine un monde aussi peu hospitalier que fascinant. À vrai dire, la meilleure description vient de l’auteur dans la harangue titrée « Les Bocaux » : « Ces vestiges sont destinés à rester orphelins, comme les segments d’une existence, comme le Fleuve qui se délite au moment de son agonie à l’entrée du delta. »

Changement d’ambiance pour Fins de siècle, bref recueil fort de quatre nouvelles ayant en commun une thématique steampunk. Si la première, « Un incident dans le métropolitain », peine à convaincre en raison de sa brièveté, et si la troisième, « Le Congrès dentaire de 1896 et ses conséquences », au sujet d’une mode très spécifique, amuse sans plus, la pièce de résistance du livre est sans conteste « Gelée ». Dans cette novella épistolaire, on suit la progression de ce qu’il faut bien se résoudre à appeler un blob géant à travers la France. Un texte savoureux et saisissant. Le recueil s’achève par « Une curiosité bibliophilique », nouvelle signant les débuts littéraires d’Yves Letort dans la fameuse anthologie steampunk Futurs antérieurs proposée par Daniel Riche en 1999. Ce texte déploie la vie et l’œuvre d’un certain Théophile Grandin, dont les gravures firent sensation à l’Exposition Universelle de 1916, dans un monde où l’humanité est entrée en contact avec une race alien ; le texte s’achève sur une série de gravures de ce Grandin (Fabrice Le Minier, en réalité), pastichant avec talent le style de l’époque.

Deux bonnes pioches, en somme, pour découvrir le travail d’Yves Letort.

 

Erwann PERCHOC

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