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Les critiques de Bifrost

Critique parue en octobre 1997 dans Bifrost n° 6

La nouvelle de la traduction du premier roman de Jeff Noon a plongé l'ensemble des connaisseurs dans l'enthousiasme. Noon, détenteur du prix Arthur C. Clarke du meilleur jeune auteur, est en effet le premier des nouveaux romanciers anglais à atteindre nos rivages. Un univers complexe, abracadabrant, mais miroitant et baroque est à présent à la portée des francophones.

Vurt est fortement inspiré par Alice au pays des Merveilles de Lewis Caroll. On saurait trouver des inspirations plus médiocres… Le roman raconte l'odyssée de Scribouille, membre mélancolique d'une bande d'accros au Vurt, sorte de drogue virtuelle dont le véhicule est habituellement une plume d'une coloration codée en fonction du style de rêve que vous voulez faire et du niveau de danger et d'illégalité qu'il implique. On peut aussi s'offrir un trip en se payant une tranche (au sens propre) d'une créature échappée du Vurt — qui s'avère être ici une autre dimension. Ça commence à se compliquer ? Heureusement, les conseils du Chat Stratège sont là pour guider les adeptes emplumés - et les lecteurs égarés : pratiquement parlant, une scène un peu obscure est rapidement suivie du commentaire éclairé du Chat, figure emblématique de ce Manchester déjanté.

Vurt procure un véritable sentiment de dépaysement et de nouveauté. Il engendre également une confusion certaine. Dans la troisième partie, Noon ajoute à son cocktail fleurant bon le champignon magique quelques débordements scatologiques et zoophiles… amusants. La descente est dure, parce que l'intrigue et ses rebondissements, une fois débarrassés de leur habillage étincelant, manquent un peu d'épaisseur et de maîtrise. Quant à la chute, c'est celle de De l'autre côté du miroir, toujours de Lewis Caroll. J'ai enfin de légers doutes concernant la qualité de la traduction, mais ce n'est probablement qu'une question de détails, et la complexité de la tâche mérite quand même bien des égards vis à vis de Michèle Albaret.

Quoi qu'il en soit, Vurt demeure un choc salutaire, démontrant l'étendue des possibilités dramatiques des littératures de l'Imaginaire d'aujourd'hui. On espère donc que les auteurs (les éditeurs ?) francophones y verront un encouragement de à dépasser les limites de leur fantaisie. Évidemment de tels romans ne vont pas faciliter le travail des colleurs d'étiquette (Fantasy ? Cyberpunk ? Post-Cyberpunk ?).

Signalons que Vurt connaîtra une suite en 95, Pollen, dans laquelle Jeff Noon change radicalement de point de vue en nous plaçant cette fois dans la peau d'une ombre-policière enquêtant sur le meurtre d’un chauffeur de taxi homme-chien — et du même coup sur une étrange invasion de pollen allergène. À saluer et à suivre…

David SICÉ

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