Publié en 1985, Walking on Glass est le deuxième roman de Iain Banks. Trois lignes narratives s’y succèdent tour à tour, d’une façon presque scolaire, et en déterminent ainsi autant de dimensions. La troisième – celle qui se passe dans un futur aussi mal défini qu’éloigné – le rattache de façon décisive à la SF : le château où Quiss et Ajayi sont détenus n’est pas tant une prison qu’un purgatoire. Le confort y est truqué, le « travail » à faire pour obtenir sa remise de peine est dépourvu de sens, et l’autorité résidente est aussi incorruptible qu’inamovible. Face à ces réalités, deux approches semblent envisageables : celle de la résistance – que tente Quiss, dont les initiatives parfois cruelles sont le plus souvent vaines – et celle de l’acceptation des règles – la voie d’Ajayi, laquelle cherche à comprendre comment mieux jouer pour gagner au plus vite. Le purgatoire étant ce qu’il est, aucune de ces deux approches n’est susceptible de donner les résultats espérés. C’est dans la répétition de ces déceptions que les deux autres fils d’intrigue finissent par trouver leur sens.
Graham, jeune homme énamouré de Sara, cherche à jouer selon les règles pour avancer. Quelle est l’histoire de cette femme un peu plus âgée, qui est terrifiée par les orages et a été mariée à un homme abusif ? En acceptant de suivre la route assez tortueuse qui lui est offerte, il admet donc sans en avoir conscience la possibilité de l’atroce déception – car parfois, les relations humaines sont considérées par l’un des partenaires comme un jeu dont il est le seul à écrire les règles. Dans le même temps, Steven, qui vit au même endroit et à la même époque, semble enclin, dans son délire de persécution, à résister aux conventions et aux règles sociales. En effet, il les prend comme autant de contraintes imposées par des entités mystérieuses et en tout cas hostiles (les « Tourmenteurs ») dans un jeu cruel auquel il n’a pas choisi de participer. De sa démission fracassante aux interactions contrariées avec sa logeuse en passant par les entretiens administratifs, tout est matière à exaspération – et donc dans sa logique, une vexation supplémentaire qui lui est infligée depuis le très lointain futur où se trouve sa place légitime.
La folie n’est jamais très loin pour les différents prisonniers dont il est question dans Walking on Glass, pas plus qu’elle ne l’est pour nous autres. Admettre les règles et les respecter, ou bien y résister de façon plus ou moins violente : voici le choix impossible qui est suggéré par le paradoxe de la force irrésistible confrontée à l’objet inébranlable, lequel sert de fil rouge à ce roman. Il n’y a pas de solution évidente à ce problème, comme chacun le sait, aussi, le mieux à faire pour sortir du purgatoire ne serait-il donc pas de reconnaître une bonne fois pour toutes qu’il faut renoncer à le résoudre ? C’est ce que feront tous les personnages de ce roman, selon des modalités qui leur seront propres. Banks est connu, dans son cycle de la « Culture », pour apprécier une certaine forme d’optimisme, voire même de foi dans le progrès humain : dans ce conte, l’intrigue a beau se nouer vers la fin des temps, il s’avère que les post-humains y restent tout aussi démunis que nous le sommes face à l’épuisement et aux mensonges. Banks y confesse-t-il être désabusé, voire las ? Peut-être ne fallait-il pas attendre autre chose d’un roman écrit en plein cœur de la décennie Thatcher.