Richard ADAMS
MONSIEUR TOUSSAINT LOUVERTURE
544pp - 21,90 €
Critique parue en octobre 2016 dans Bifrost n° 84
Peu après l’extraordinaire Maison dans laquelle de Mariam Petrosyan (critique dans Bifrost no 82), les éditions Monsieur Toussaint Louverture nous offrent un deuxième livre d’importance, bien rare en France depuis sa première traduction en 1976, et pourtant largement diffusé dans le monde entier avec plus de cinquante millions d’exemplaires vendus : Watership down, du britannique et quasi-centenaire Richard Adams.
C’est une véritable épopée, au ras glorieux des pâquerettes, dont il est question : les héros en sont deux frères lapins, le rusé Hazel et le prophétique Fyveer. Ce dernier sent peser sur la garenne un danger imminent. Tous deux essaient de convaincre le maître Padishâ de faire déménager en urgence toute la communauté. Peine perdue. Hazel décide alors de faire confiance à la vision de son frère et réussit à constituer un petit groupe qui réalise l’impensable : quitter la garenne pour partir à l’aventure, vers une terre inconnue plus paisible. Il leur faudra faire preuve de plus d’audace, de courage, de ténacité qu’ils ne s’en sont jamais sentis capables. Ils devront traverser les épreuves, surmonter les blessures, mépriser la mort pour faire renaître ailleurs une nouvelle garenne…
Trop humains, ces lapins ? Que nenni ! Car Adams n’oublie jamais que ce ne sont que des bêtes, avec leur mode de vie, leurs règles sociales, leurs sentiments propres, leur ignorance totale de toute technique (sinon celle de creuser !), leur rapport au temps et à la nature ou bien encore à l’amour. C’est là un des principaux charmes pour le lecteur, qui se sent dépaysé dans la peau de ces héros qui figurent quelque état primordial de la civilisation, un peu comme ces hommes mis en scène dans les grandes épopées occidentales ou orientales. C’est donc sans surprise que dans ce roman on retrouvera métamorphosés Ulysse, bien sûr, et ses voyages (notamment au pays des Lotophages), Énée exilé de Troie et qui peine à s’installer dans le Latium (leur principal ennemi, le général Stachys, n’a rien à envier à Turnus), ou bien encore Gilgamesh… Tout comme ces héros, nos lapins sont passionnés de récits légendaires, surtout la geste du mythique lapin Shraavilshâ, roi de la ruse, qui ne recule devant rien, pas même devant une bonne vieille catabase. Pour notre bonheur de voir s’enchâsser les histoires, les amis se narrent ses aventures au fil des leurs et redoublent ainsi la trame épique du livre. C’est d’ailleurs un trait propre à l’écriture d’Adams que de jouer sans cesse avec habileté sur cette profondeur littéraire, notamment en plaçant en exergue de chaque chapitre un court extrait emprunté à des registres fort divers, de Platon à Walter de La Mare. Et comme tout vrai démiurge, il va jusqu’à créer la langue de ses héros, le Lapine, dont il parsème ses pages.
Watership down est un grand récit d’aventure qui se dévore et qui plus d’une fois vous mettra sfar, comme disent nos chers léporidés. Mais pas que… Bien évidemment, ces petits êtres fragiles nous délivrent quelques vérités sur notre humaine condition, la politique, l’écologie, bien qu’Adams se soit toujours défendu de faire une œuvre engagée. À vous de voir. Et pour poursuivre l’aventure, les plus mordus iront lire en anglais les textes de The Tales of Watership Down (1996), toujours inédits en français…