Lucius SHEPARD
WHEATLAND PRESS
Critique parue en juillet 2008 dans Bifrost n° 51
Et d’abord, pour que les choses soient claires :
Avertissement :
Cette rubrique est destinée à un public adulte. […] Si vous considérez Steven Spielberg comme un cinéaste de génie, si vous pleurez en regardant les films de Julia Roberts, si vous avez un faible niveau de tolérance pour l’humour noir, la controverse et le vocabulaire d’un niveau supérieur à celui du bac, tenez-vous prêt à subir une épreuve morale…
Voilà la notice que le gestionnaire du site s’est senti obligé de placarder après que Lucius Shepard eut émis de légères réserves sur Harry Potter et la Coupe de morve (ou bien était-ce Harry Potter et l’étron du destin ?) ; certains lecteurs n’avaient pas apprécié. Pourtant, les choses étaient limpides dès la première chronique postée sur le site, vu que Shepard l’avait intitulée : eXcreMENt… Or, donc, notre ami Lucius va au cinéma. De temps à autre, il lui arrive d’aimer un film ; le plus souvent, la vision de la dernière bouse hollywoodienne suscite chez lui certaines réactions organiques des plus colorées. Il était juste que ses lecteurs en profitent. Wheatland Press, un petit éditeur le publiant régulièrement au sommaire de l’anthologie Polyphony, a donc eu la bonne idée de recueillir une partie de ses chroniques cinéma, dont certaines avaient été reprises dans The Magazine of Fantasy and Science Fiction.
« Chroniques » est d’ailleurs un terme un peu faible. « Vitupérations » conviendrait davantage. Comme bien d’autres avant lui — on pense à Harlan Ellison —, Shepard est un amoureux fou du cinéma, amoureux d’autant plus déçu par telle ou telle excrétion que son désir d’être comblé était intense. Mais la trentaine de papiers rassemblés ici ne sont pas seulement des démolitions en flammes. En filigrane s’y développe une réflexion sur la commercialisation à outrance du spectacle, l’infantilisation de la société américaine, la fin prochaine de la civilisation occidentale et autres joyeusetés.
La bonne nouvelle, dans tout cela, c’est que Shepard apporte à ses chroniques le même soin qu’à ses fictions, de sorte qu’on trouvera dans ces pages quelques morceaux de bravoure bien sentis : la critique de La Machine à explorer le temps censément rédigée par un H.G. Wells débarqué dans notre époque (il décide en repartant de rompre avec la future arrière-grand-mère de Simon Wells, réalisateur de cette merde, afin que celui-ci ne voie jamais le jour), la description des talents d’acteur de Ben Affleck après le visionnage de Daredevil, (« Quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi ce type a une carrière ? »), la démolition en deux temps (avant et après le visionnage) de l’A.I. de Spielberg…
Mais, de temps à autre, Lucius tombe sur un bon film, et il est aussi lyrique, aussi expressif, lorsqu’il s’agit de tresser des louanges à Tigre et dragon, The Pledge ou Le Retour du roi. Et, là aussi, ses réflexions sont intéressantes (même si on est légitimement conduit à faire des réserves sur ses goûts : ce type a aimé Le Pacte des loups — je sais, moi-même, j’ai peine à y croire…). Ces derniers temps, il semble avoir cessé de collaborer avec Electric Story, préférant réserver la primeur de ses expériences cinématographiques à son propre blog.
Pour compléter ce volume, dont on espère une traduction, un essai aussi intelligent que gonflé sur la tuerie de Littleton, et un autre sur Mike Tyson et Las Vegas, nettement plus personnel — Shepard est un fan de boxe, un sport auquel il s’est formé dans sa jeunesse pour pouvoir résister à son père quand celui-ci avait envie de lui casser la gueule.