1983 est une année doublement charnière pour George R. R. Martin.
De son propre aveu, les faibles ventes de son quatrième roman, Armageddon Rag, mettent en péril sa carrière de romancier et l’incitent à exploiter ses dons de narrateur à Hollywood. Il écrira notamment pour la seconde saison de Twilight Zone (bof), et pour la série La Belle et la Bête (bof, bof, bof).
Dans un même temps, son ami Victor Milan lui offre Superworld, un jeu de rôle orienté « super-héros » qui déclenchera une véritable frénésie à Albuquerque, « une orgie ludique qui a duré deux ans » dont le père de « Game of Thrones » finit par s’affranchir en se disant à lui-même : « Il doit y avoir moyen de gagner un peu d’argent avec ça. »
C’est dans ce contexte assez particulier qu’est né le concept de « Wild Cards », univers partagé et uchronique qui fera l’objet de plus d’une vingtaine d’opus mélangeant recueils et romans.
Mis au point par une faction aristocratique de la planète Takis pour en éliminer une autre, le virus Wild Card modifie le génotype takisien de manière absolument imprévisible. Les Takisiens, méfiants quant à la versatilité de leur invention, décident de tester leur arme sur la planète Terre car les humains leur sont génétiquement identiques (si, si !). La venue sur notre planète du Dr Tachyon, bien décidé à empêcher ce test grandeur nature, n’y changera rien : la population sera amputée à hauteur de quatre-vingt-dix pour cent et le devant de la scène progressivement accaparé par une horde de mutants que l’on distinguera en deux catégories : les As, pour qui l’apparition de pouvoirs n’a pas affecté l’intégrité physique, et les Jokers, qui n’ont plus grand-chose d’humain.
Sur un quatrième de couverture, ce background s’avère particulièrement alléchant. Une fois lancé dans le livre, il en est autrement : les quelques idées originales, et peu nombreuses, sont submergées par des avalanches de stéréotypes absolument éculés, un manque d’humour disqualifiant, une grisaille globale qui rogne toute notion d’évasion sans pour autant apporter la profondeur qui pourrait la justifier. La palme de la déception sera sans doute attribuée à Roger Zelazny, qui, au lieu de rendre poignante la nouvelle « Le Dormeur », comme elle aurait mérité de l’être, se contentera de jouer les utilités en une cinquantaine de pages moroses et atones.
Ce premier volume de « Wild Cards » est initialement paru en 1987 aux USA — une époque où l’industrie des comics, de son côté, produisait certains de ses plus grands graphic novels (The Death of Captain Marvel, The Dark Knight Returns ou encore God Loves, Man Kills). Il ne soutient absolument pas la comparaison et tombera moult fois, sans l’ombre d’un doute, des mains les plus motivées. Aucun intérêt.
Grégory Drake