Winkie est un ours en peluche plutôt miteux. Mais c'est aussi un terroriste multirécidiviste, un terrifiant conspirateur, dont le but ultime est de renverser le gouvernement des Etats-Unis. C'est en tous cas ce que prétend la justice américaine. Et ce n'est pas tout. Winkie est également accusé des délits suivants : cent vingt-quatre tentatives de meurtre ; travestissement en femme ; blasphème ; sorcellerie ; enseignement de la théorie de l'évolution à l'école ; viol dans le cadre d'un rituel satanique ; obscénité ; diffusion de la fausse doctrine selon laquelle le Soleil est au centre de l'univers… Comment en est-on arrivé là ? Et qui est vraiment Winkie ? Un ours en peluche un peu moisi, l'ennemi public numéro 1, ou les deux à la fois ? Vous le saurez en lisant Winkie, de Clifford Chase. Et vous ne le saurez que si, et seulement si, vous lisez ce livre. Car rien n'est simple dans ce qu'il faut bien appeler « l'affaire Winkie ». C'est même tellement compliqué qu'un petit résumé des faits s'impose : Winkie a d'abord appartenu à Ruth Chase, la mère de Clifford Chase. Elle en a ensuite fait don à ses enfants successifs. Mais ce qu'aucun des membres de la famille Chase n'a deviné, c'est que Winkie n'est pas qu'un simple jouet inanimé. C'est un être conscient. Et un soir d'ouragan, l'impossible se produit : Winkie s'anime, prend vie, et s'enfuit dans la forêt. Il va y faire la rencontre d'un étrange professeur, ermite et terroriste à ses heures perdues…
Winkie, premier roman de Clifford Chase, est un bouquin malin. En apparence, il s'agit d'une fable animalière légèrement décalée, avec pour personnage principal un ours en peluche. Et quoi de plus inoffensif qu'une histoire de gentil nounours ? Mais très vite, Clifford Chase sort ses griffes, met un tigre dans son moteur et se métamorphose en écrivain teigneux et militant. À partir de là, son ambition est claire : écrire une satire au vitriol du système judiciaire américain, une critique sociale radicale et un réquisitoire sans appel contre l'Amérique selon G. W. Bush. Avec pour seule arme l'humour. Un humour absurde, nonsensique, frapadingue, et tout à fait explosif. Pari réussi. Car on rit beaucoup en lisant les mésaventures de ce pauvre Winkie. Arrêté puis emprisonné, le voilà devenu le héros involontaire d'un procès très médiatique. Pour la justice américaine, Winkie est l'ennemi, l'autre, l'étranger. Celui qu'on ne comprend pas, mais sur lequel se focalisent toutes les haines, toutes les peurs. Et là, Clifford Chase a une idée formidable : il utilise de courts extraits de procès réels. Procès d'Oscar Wilde, de Galilée, des « sorcières » de Salem… Effet comique garanti ! Et manière de démontrer, une fois de plus, que la réalité est parfois plus délirante que la plus délirante des fictions. Au-delà de ça, c'est surtout pour Clifford Chase l'occasion de faire le procès de l'obscurantisme et du fanatisme religieux.
Malgré quelques faiblesses (une écriture parfois un peu maladroite, quelques longueurs), Winkie est donc une belle surprise. Un premier roman hors normes, rusé et courageux. Un petit missile littéraire lancé à la face de l'Amérique bien-pensante et néo-conservatrice. Un peu à la façon de Roland C. Wagner dans La Saison de la sorcière et L.G.M., Clifford Chase utilise la fable, l'allégorie, pour faire passer un message ouvertement politique. Et pour le faire sans lourdeur. Certains passages de Winkie sont franchement hilarants. On passe un très bon moment en compagnie de cet ours en peluche un peu particulier. Et que les âmes sensibles se rassurent : il s'en sort à la fin, et ne termine pas sa vie en prison. Bravo Winkie !