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Les critiques de Bifrost

Wonderful

Sabrina CALVO
BRAGELONNE
312pp - 10,00 €

Critique parue en janvier 2020 dans Bifrost n° 97

La Lune se meurt. De notre point de vue de petits terriens, elle se fissure, et va littéralement nous tomber sur la tête. Dans quelques jours, dans quelques heures. Peu importe, puisque ce sera de toute façon la fin du monde tel que nous le connaissons.

Du point de vue du Mobile, l’étrange procession d’êtres qui forment le Système solaire, la Lune est endormie depuis bien trop longtemps. Pire ! Alors qu’aucun autre membre de sa céleste famille ne le peut, elle, si insignifiante, rêve ! Et pour ne pas arranger son cas, la Lune a contaminé les humains avec ses fantasmagories ! Il est grand temps d’en finir. Les planètes et autres astres se liguent donc pour stopper cette anomalie. Tant pis si, au passage, l’humanité disparaît.

À Londres, le Dr Loomis, qui porte si bien son surnom de Loom (« planer, menacer »), est témoin d’événements qui, en d’autres temps, paraîtraient étranges : quittant les usages du siècle moderne (XXe ou XXI e, le doute n’est pas levé), les Victoriens ont retrouvé la descendante de Victoria, et bouclé le quartier du Parlement. Kensington Gardens appartient de nouveau aux fées. La National Gallery est le lieu d’un immense bal, car après tout, autant danser en attendant l’Apocalypse. Quant à la cathédrale Saint-Paul, elle est occupée par le roi de Londres et sa cour. De curieux hommes en noirs parcourent la ville en laissant derrière eux des espaces dévastés par le Vide. Une radio continue de diffuser son unique programme pour les cœurs solitaires. Et on parle d’un film, celui d’un souvenir anticipé, qui montrerait la fin.

Plus que tout décidé à guérir son épouse malgré les circonstances, Loom, suite à une série de mésaventures, va se lancer presque malgré lui à la recherche de ce film que tous convoitent. Et embarquer au passage le lecteur dans un rêve éveillé où plus rien ou presque n’a de sens, si ce n’est le voyage dans l’imaginaire.

Comment résumer en si peu de mots ce surprenant deuxième roman de Sabrina Calvo, tant il est baroque ? Wonderful se lit avec plaisir, à condition qu’on accepte de ne pas être guidé, d’oublier toute tentative d’accroche à une narration classique. Dans cet immense bazar, peu importe le concret – ou pire, le réalisme. Qui s’en préoccupe, de toute façon, alors que tout est sur le point de disparaître ? Dernier sursaut d’art avant l’obscurité, les aventures de Loom et des quelques autres personnages évoquent Jules Verne, Cyrano de Bergerac, Méliès, James Barrie, Hitchcock et tant d’autres, sur une bande-son rock assez sympathique. Les invocations conscientes ou inconscientes de ces univers artistiques forts tissent le récit, plutôt que l’histoire, qui, elle, virevolte entre les images et s’y perd souvent. C’est joyeux, c’est désespéré, on ne comprend pas tout mais on s’en moque, car qui a vraiment envie de comprendre un rêve ? Cette danse autour de la fin du monde risque de perdre beaucoup de lecteurs tant la chorégraphie peut parfois être complexe. Pourtant, si on se laisse embarquer par le rythme, on ressort de la piste, un peu échevelé, à la fin du morceau, en essayant de quitter ce léger vertige de ne plus vraiment savoir où est la réalité, en se demandant quelle était déjà cette étrange mélodie envoûtante, et surtout, en ayant très envie de sauter dans le premier Eurostar.

Maëlle ALAN

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