Entre deux romans de son immense « Civilisation technique », fresque dépeignant mille ans de futur, Poul Anderson a également écrit quelques space operas détachés dudit cycle — ainsi ce World Without Stars. Qui se déroule dans un avenir éloigné où l’humanité a accédé à l’immortalité, et ra-conte l’histoire de Felipe Argens, capitaine du Meteor, chargé de se rendre sur une planète lointaine. Celle-ci leur a été signalée par des extraterrestres vivant dans le halo de la Galaxie et avec lesquels l’humanité entretient de sporadiques contacts amicaux.
Las ! Ratant la phase d’approche, le Meteor s’écrase. Drôle de planète : incroyablement ancienne, son soleil est une naine rouge et son ciel nocturne n’est éclairé que par le disque entier de la Voie lactée. Les survivants du crash le découvrent, plusieurs espèces cohabitent sur ce monde. Les uns, les Azkashi, petit peuple nocturne vivant en hordes éparses, vénèrent la Galaxie, tandis que les autres, les Niao, créatures télépathes promptes à vouloir dominer les Azkashi, voient en elle une déité maléfique.
La situation est catastrophique pour les humains, coincés sur une planète quasi dépourvue de métaux, et dont les habitants vivent à un stade moyenâgeux. Mais les naufragés du Meteor ont un atout : Hugh Valland, artilleur recruté par Argens, un homme hors du commun. Soldat et baladin, volontaire et astucieux, il est mû par son désir de retrouver Mary O’Meara, son amour de toujours, qui l’attend patiemment sur Terre. Et Valland va tout faire pour réussir l’impossible et ramener les naufragés au bercail…
World Without Stars contrebalance son histoire relativement prévisible, et peut-être un peu trop ramassée, par des visions superbes — la Voie lactée en son entièreté illuminant un ciel étranger — et des peuplades extraterrestres surprenantes. Surtout, ce roman condense, en ses cent cinquante pages (et pas une de plus) plusieurs thématiques récurrentes dans l’œuvre andersonienne, à commencer par l’Histoire : c’est en se référant à la lutte des Amérindiens que Valland convainc les Azkashi de résister à leurs oppresseurs. Et sans oublier les mythes : ici, celui d’Orphée et Eurydice, que l’on retrouvera dans « Le Chant du Barde » (heureux hasard, World Without Stars est paru en volume en 1967, la même année que L’Intersection Einstein de Delany, brillante variation posthumaine de ce mythe grec), interpolé avec le thème de l’immortalité, vingt ans avant The Boat of a Million Years. Le personnage de Valland, âgé de plusieurs siècles, s’interroge : que faire d’une masse de souvenirs, quelle est la durée des sentiments ? Et la poésie, chère à notre auteur, a ici la part belle. Les couplets de la ballade « The Song of Mary O’Meara », composée par Valland/Orphée, ponctuent le roman et, dans son introduction, Anderson rapporte que la chanson a fini par accéder au rang de classique anonyme et traditionnel dans les conventions de SF américaines. Manière d’immortalité, en somme.