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Les critiques de Bifrost

Zémal, l'épée de feu

Zémal, l'épée de feu

Javier NEGRETE
L'ATALANTE
512pp - 22,00 €

Bifrost n° 39

Critique parue en juillet 2005 dans Bifrost n° 39

Pour une fois, je vais briser le moule de la critique et ne pas vous faire de résumé. D'abord parce que ce serait ridicule : Zémal est un roman d'heroic fantasy tout ce qu'il y a de plus classique, comme vous en avez certainement lu des centaines si vous aimez le genre. Un couple de magiciens disciple/maître, un couple de guerriers disciple/maître, une quête initiatique, un combat désespéré contre les forces du mal, les ennemis aux portes du royaume, un artefact magique, une prophétie, un élu, des dieux vengeurs… Bref, une facture plus que classique. Non, pas de résumé. Je préfère m'attarder sur la critique. Car en toute honnêteté, et avec une énorme dose de surprise, je n'avais pas été aussi enthousiasmée par un roman de ce type depuis… la série de la Belgariade de David Eddings. C'est dire.

D'abord, Negrete est un fin tolkienniste. Fin, oui, car non seulement Negrete connaît son Tolkien sur le bout des doigts, mais aussi, et surtout, parce qu'il en a assimilé tous les rouages avec intelligence et a su les restituer avec finesse, tout en faisant non pas du Tolkien, mais du Negrete. Cela peut paraître bizarre, voire contradictoire, mais Negrete fait du Tolkien à la Negrete. Si si. Et il le fait superbement bien, le bougre. Tout ce qui a pu vous transporter, vous émouvoir, vous soulever de votre chaise en lisant Tolkien, vous le retrouvez ici intact, dans toute sa fraîcheur et sa sincérité. Mais attention, ce n'est PAS du Tolkien. Pour dépeindre la Tramorée, Negrete a plutôt choisi l'ambiance qui se dégage des pays Orientaux, tels que l'Egypte, les steppes de l'Asie centrale, le Japon médiéval et ses Shogun. Un monde d'une richesse extraordinaire, riche de couleurs, de sons et d'odeurs, de passions et d'humeurs, très justement équilibré dans sa structure et son découpage, un mélange de peuples et de races détaillé et passionnant. Ensuite, les personnages. Ah, les personnages ! Une série de portraits aussi disparates que solides. Bleusailles ou vieux briscards, loin des clichés héroïques à la Conan, des personnages qui crachent leurs tripes et leurs sangs, suent et souffrent. Des héros pétris de faiblesses et de contradictions, de remords et de souffrances, qui perdent plus qu'ils ne gagnent au cours de ce long voyage. De vrais personnages, quoi, incroyablement attachants. Autre grande réussite : la magie. Ici, pas d'effet de manche ni de longues incantations gesticulantes et sonores. Mais une puissance énorme, folle. Une parabole sur le pouvoir et sa corruption, sur le coût réel de son acquisition : ici aussi, sang et larmes.

Le style de Negrete est paradoxal. Une écriture rapide, serrée, alerte et nerveuse, avec quelques bourdes ici ou là (traduction ?), et quelques éclairs d'humour à la Pratchett, surprenants et bien venus. Mais un rythme lent, qui prend son temps pour installer l'histoire, distiller l'information, asseoir l'ambiance. Imaginez un mastodonte, au déplacement lent et majestueux mais pourvu de mille pattes qui s'agitent frénétiquement. Un temps à deux temps, différent de ce qu'on peut lire ailleurs. Un temps espagnol ? Negrete enchaîne avec bonheur les scènes d'actions, rapides sans être particulièrement frénétiques, ce qui laisse le loisir d'admirer le paysage, riche et magnifique, et donne le temps nécessaire à la réflexion, notamment sur les implications des événements.

Si vous aimez les histoires avec de vrais méchants, très nombreux et trop puissants, des gentils pathétiques de faiblesse et en sous-nombre, des situations désespérées et des vengeances bien senties, des dieux qui manipulent, des destins gravés dans le marbre, Zémal est fait pour vous.

Car force est de constater que Javier Negrete est un écrivain magique : confiez-lui un cheval en bois tiré par une ficelle et il vous réinvente la prise de Constantinople. Un vrai talent. On l'aura compris : ceci n'est pas une critique, c'est un coup de cœur.

Il semblerait que Zémal soit le premier volet d'une trilogie. On se gardera pour une fois de s'en plaindre ! Dis, monsieur l'Atalante, c'est quand la suite ?

Sandrine GRENIER

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