1964, Alabama, petite ville de Zephyr. Observez sa rue principale, la grande place, l’échoppe du barbier, la droguerie-quincaillerie, son cinéma Le Lyric qui propose un double programme le samedi. Cory Jay Mackenson, douze ans, mène une vie tranquille auprès de parents aimants, son fidèle chien Rebel et sa bande de copains. Jusqu’au jour où, accompagnant son père dans sa tournée de livraison, une voiture se précipite dans les eaux noires du lac. À son bord, le cadavre d’un homme nu, étranglé avec une corde à piano et portant un curieux tatouage. La plus chaleureuse des villes peut cacher de terribles mystères…
Décidément, Monsieur Toussaint Louverture multiplie les trésors dans sa collection « Laventure », véritable boite à secrets qui contiendrait une carte de base-ball signée Mickey Mantle et la bague du fan-club Doc Savage. Après Et c’est comme ça qu’on a décidé de tuer mon oncle de Rohan O’Grady (encensé dans le Bifrost n° 96), l’éditeur nous offre l’occasion de retrouver Robert McCammon, devenu rare par chez nous. L’auteur du remarquable L’Heure du loup (GPI du roman étranger 1992) revient donc avec une belle traduction révisée d’un roman initialement paru en 1993 chez Albin Michel (sous le titre Le Mystère du lac). Reste que le titre original, Boy’s Life, référence au mensuel des scouts américains édité depuis 1911, et qui a accueilli les contributions d’Isaac Asimov et de Ray Bradbury, pose parfaitement le ton et les personnages principaux de ce livre-univers.
Zephyr accueille tout ce que la vie peut offrir, et l’extraordinaire en supplément. Son bestiaire, qui ne paraît étonner personne, compte Snowdown le colossal cerf blanc, le vieux Moïse, monstre marin tapi dans la rivière Tecumseh, et un tricératops aux cornes sciées qui s’est évadé de la foire. Les habitants offrent également leur lot d’excentriques, tel Owen qui a sauvé Wyatt Earp à O.K. Corral, la toujours surprenante Brenda Sutley, diablesse de dix ans, ou Vernon Thaxter, riche héritier qui se promène entièrement nu, peut-être pour avoir été dépossédé de son âme d’écrivain. Cory le comprend, lui qui plus tard veut être conteur, double littéraire de Robert McCammon. Le garçon est également passeur entre les communautés blanche et noire, comme l’a compris la Dame, prêtresse vaudou de cent six ans, « aussi frêle qu’une ombre et tout aussi ténébreuse », qui étend sa protection sur la famille Mackenson.
Car l’existence se révèle souvent sombre aux yeux du garçon. Ku Klux Klan, on est bien dans un roman sudiste, mais aussi les frères Branlin, tortionnaires de son âge qui s’en prennent aux plus faibles, ou père affable d’un copain qui devient bourreau domestique après quelques verres de whisky. « Il y a pire que les monstres des films », Cory y perdra une part de son innocence, ce que l’on appelle grandir, tandis que la ville change avec l’ouverture d’un supermarché qui inaugure l’âge du changement, pas forcément pour le mieux.
Aussi Cory vit-il intensément ces ultimes moments d’enfance, racontés en quatre parties comme autant de saisons. Dont l’été, car « un été perdu ne se rattrape jamais », le dernier jour de classe aux interminables minutes qu’égrène la pendule, avant une envolée dans les cieux entre copains et leurs chiens. Pages magnifiques qui rappellent les chevauchées du Book of Love de William Kotzwinkle. Et d’autres auteurs d’Imaginaire, comme Dan Simmons et son Nuit d’été, Stephen King à qui l’auteur rend un discret hommage, et leur maître à tous dans le réalisme magique de l’enfance, Ray Bradbury.
Présenté sous reliure cartonnée avec une illustration de couverture d’Alex Green, le récit est « tout simplement magnifique… incroyablement émouvant », selon Peter Straub, dont on suivra l’avis autorisé. On se contentera d’ajouter que Zephyr, Alabama, est l’un des plus grands romans sur l’enfance, un livre que tout auteur rêverait d’écrire, que tout lecteur adorera lire.